L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Emile Compardon et les Archives nationales
de Rodolphe Trouilleux
Société des Amis des Archives de France Honoré Champion 2005 /  20.90 €- 136.9  ffr. / 112 pages
ISBN : 2745313835
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer, conservateur en chef aux Archives nationales, est professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié Fléaux et société. De la Grande Peste au choléra . XIVe-XIXe siècles (Hachette, 1999), et, récemment, un Richelieu chez Flammarion (2004).

Théâtre, Archives et Quatrains!

Pour lire mes quatrains, ôtez, je vous en prie,
Otez votre habit vert,
Car il s’agit ici d’une plaisanterie,
Et non du prix Gobert.


Telle est la présentation qu’Émile Campardon faisait de ses Quatrains, poétiques et spirituels croquis de ses collègues de travail aux Archives nationales ; il ajoute : «Ce sera ma contribution personnelle à cette histoire des Archives qui tentera sans nul doute la plume d’un archiviste de l’avenir.» Outre ces Quatrains, Campardon est encore l’auteur des Souvenirs d’un vieil archiviste qui croquent d’une plume alerte et acerbe, service après service, le personnel en fonction aux Archives nationales au XIXe siècle.

Archiviste laborieux, mais atypique par sa fréquentation assidue du monde du théâtre, Campardon est proposé en ces termes en juillet 1884 pour la croix de la Légion d’Honneur : «Sous-chef de la section législative et judiciaire, dont il a aujourd’hui la direction principale. Il compte aux Archives nationales plus de 25 années de services et est un des employés qui ont le plus contribué à la rédaction des inventaires. M. Campardon, ancien élève de l’École des chartes, est auteur d’un grand nombre d’ouvrages estimés sur l’histoire des mœurs, du théâtre au XVIIe et XVIIIe siècle et sur divers épisodes de l’histoire de France à la même époque.» Outre ses savantes études sur Marie-Antoinette, Molière, Latude ou Scaramouche, ses instruments de recherche, qu’il s’agisse du répertoire numérique du fonds du Parlement de Paris, de l’inventaire des insinuations du Châtelet ou encore de l’histoire du Tribunal révolutionnaire, sont demeurés sur les rayons des usuels de nos salles de lecture, bel exemple du labeur de ces générations de chartistes qui ont assuré le rayonnement érudit de l’institution dans laquelle ils travaillaient. De ces personnages atypiques, laborieux et-ou fantaisistes, on découvre la vie quotidienne, les rivalités et camaraderies, tout un monde de bureaux dont le récit est aussi à verser au grand dossier de l’histoire de l’administration.

Au-delà du plaisir anecdotique de cette lecture, les familiers des Archives d’aujourd’hui ne pourront manquer de méditer sur les permanences et les mutations, le poids de l’histoire tel qu’il pèse sur une institution sans cesse en mal de définition et de reconnaissance entre administration et histoire, saisie sur le vif en un moment où l’érudition chartiste semblait y avoir triomphé en y imposant ses qualités, mais aussi ses petitesses.

Des érudits reconnus (Alexandre Tuetey) qui vouent leur vie au recensement des sources de la Révolution sont aussi capables d’inventer un cartulaire factice pour de candides érudits locaux ; le laborieux auteur des analyses des layettes du trésor des chartes (Jules Tardif) qui n’ose pas prendre possession du bureau correspondant à une promotion après laquelle il a longtemps soupiré ; un directeur (M. de Chabrier) recouvert du plâtre destiné à l'un de ses subordonnés dont il avait pris la place… ; un monde où les farces de potaches s’accommodent du labeur le plus exigeant et des travaux les plus exemplaires et durables.

C’est en effet le temps où les Archives nationales et leurs chartistes sont pleinement parties prenantes de l’essor contemporain de l’érudition critique et tiennent leur partie dans la compétition qui oppose la France à l’érudition allemande ; leur œuvre en matière de classements et d’instruments de recherche constitue un héritage immense et incomparable dont les chercheurs font encore quotidiennement leur miel. Cependant, lorsqu’un décret du 21 mars 1884 réorganisa la gestion des archives en réunissant Archives nationales et départementales sous une unique tutelle, les premières furent présentées comme un établissement dépourvu de dynamisme dont la direction est taxée de routine et d’indécision. Un nouveau règlement fut élaboré en 1887 visant à un souci de régularisation et de stricte séparation des attributions scientifiques et administratives ; les versements rendus obligatoires pour les administrations centrales, les éliminations, la communication avec l’apparition du délai de 50 ans, les expéditions, le rapport annuel désormais obligatoire ; aux archivistes il est fait interdiction de cumul et obligation de demander une autorisation pour toute publication de documents…

Le balancier de l’histoire des archives repart alors dans le sens d’une vocation de plus en plus administrative sans que des moyens supplémentaires leur soient consentis pour l’assumer avec efficacité. Grâce à Campardon (et à Rodolphe Trouilleux à qui l’on doit la présente réédition érudite de ses écrits devenus introuvables), l’anecdote éclaire l’histoire. On voit alors combien, loin de fournir des leçons profitables, cette histoire a tendance à bégayer !

Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 18/12/2005 )
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