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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Jean Racine
de Georges Forestier
Gallimard - Biographies 2006 /  35 €- 229.25  ffr. / 944 pages
ISBN : 2-07-075529-0
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

Monument pour un grand homme

Résultat de minutieuses recherches, somme d’années de travaux sur la question, voici le dernier ouvrage de Georges Forestier : Jean Racine. Cette biographie, chronologique, fait le point sur le grand dramaturge du XVIIe s. contemporain du Roi Soleil (1639-1699). Faisant le bilan de toutes ses recherches sur la question, G. Forestier s’attache à défaire les fausses légendes sur le personnage, rétablissant la part des sources – moins nombreuses que ce que l’on aurait pu croire – et montrant l’ampleur des erreurs commises et depuis toujours répétées par un biographe important de Racine, son fils Louis.

Il faut d’abord noter que les sources manuscrites, de la main de Racine, sont fort rares car à l’époque on jetait les brouillons et autres manuscrits qu’aujourd’hui nous conservons pieusement. D’autre part, certaines légendes ont la peau dure : celle du pauvre orphelin à l’enfance malheureuse charitablement recueilli par Port Royal par exemple. Au contraire, Racine vient d’une famille de notables aisés ayant tissé un réseau de puissantes relations qui permettent au petit Racine d’entrer dans le cercle restreint des petites écoles de Port Royal.

C’est chez les jansénistes qu’il reçoit en effet la formation que l’on connaît bien : l’apprentissage direct du français (et non par le biais du latin comme cela se faisait à l’époque), mais aussi – autre originalité – l’apprentissage de l’italien, de l’espagnol et du grec. La lecture assidue et in extenso, ce qui était peu courant, des classiques grecs et latins complètent son éducation.

Après un passage au collège de Beauvais où son puissant grand-père et tuteur, Sconin, a semble-t-il des liens avec l’évêque, Racine termine ses études au collège Harcourt à Paris. Se pose alors la question de la carrière qu’il va embrasser. Celle d’avocat a probablement été envisagée mais c’est bientôt à celle d’ecclésiastique que Sconin destine son petit-fils. En effet, Racine, devenu commis de son cousin Vitart, produit toutes sortes de vers légers et galants et fait des dettes. Sconin entreprend donc de le fixer et l’envoie à l’évêché d’Uzès, escomptant sans doute la résignation d’un bénéfice pour Racine. Racine s’y ennuie mortellement et obtient de revenir à Paris où il reprend son activité de plumitif. Après diverses pièces légères, il écrit en 1663 une Ode sur la convalescence du roi (le roi se remet alors en effet d’une rougeole) qui a l’heur d’être présentée à Louis XIV par une importante relation, Chapelain. Cette composition ayant plu au roi, Racine reçoit une récompense non négligeable : une pension de 600 livres par an (quand Corneille en touche 2000).

Voilà le jeune Racine introduit et lancé : c’est le début de la carrière qui produit les douze pièces toutes restées célèbres : La Thébaïde ou les frères ennemis, Alexandre le Grand, Andromaque, les Plaideurs, Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie, Phèdre et Hippolyte, Esther, Athalie. G. Forestier suit à partir de ce moment la chronologie pour traiter toutes les pièces selon la même méthode : genèse de l’œuvre, sources littéraires d’inspiration (dans l’Antiquité grecque ou romaine le plus souvent), choix du théâtre et des acteurs, répétitions, réception de la pièce, querelles autour de la création, et enfin impression de la pièce avec préface revenant la plupart du temps sur les querelles suscitées par la pièce.

Cette façon de procéder lui permet de mieux faire comprendre au lecteur le contexte historique : on y voit la lutte entre les théâtres parisiens concurrents et leurs agissements (véritables stratégies commerciales avant la lettre), la place des acteurs, les joutes littéraires, parfois violentes, ou encore les interventions royales. Elle redonne un contexte historique, une matérialité à des pièces dont la célébrité a fait des chefs-d’œuvre hors du temps. La méthode permet aussi de voir l’écrivain au travail, elle nous renseigne «sur l’impatience de Racine, sur son extrême docilité, sur son inquiétude devant le résultat final (et donc sur son perfectionnisme.)» (p.139).

On y découvre des aspects du personnage que l’on connaît moins, par exemple l’habile courtisan, très préoccupé par l’obtention de la noblesse, par les pensions du roi et la reconnaissance sociale. C’est aussi un Racine soucieux de sa postérité (il apporte un grand soin à la publication de ses œuvres) mais aussi de ses intérêts financiers, qui apparaît au fil des pages. G. Forestier revient également sur le travail historiographique entrepris conjointement par Racine et Boileau, expliquant à partir des rares sources qui n’ont pas brûlé la méthode de travail adoptée : Boileau, dont la santé est fragile, est l’«homme de cabinet» tandis que Racine, l’«homme de terrain», suit Louis XIV lorsqu’il part en campagne.

G. Forestier réserve bien entendu une place importante aux complexes relations de Racine avec les jansénistes, montrant l’inanité de certaines légendes (le petit Racine traumatisé par la dispersion des jansénistes en 1656 par exemple) et tentant de faire la part de la dette de Racine envers eux, mais aussi de son ingratitude parfois. C’est rétablir un peu d’histoire dans les légendes qui entourent l’auteur de l’Abrégé de l’histoire de Port Royal (publié bien après sa mort en 1742) qui a demandé (et obtenu du roi) la permission de se faire enterrer à Port Royal auprès de ses maîtres, Antoine le Maître et son frère Le Maître de Sacy.

Cet ouvrage, complémentaire de l’édition des Œuvres de Racine publié par le même G. Forestier chez La Pléiade (édition réactualisée en 2004), restera certainement pour un bon nombre d’années, gageons-le, une référence. Cet aboutissement de recherches inlassables sur le sujet est aussi d’une lecture plaisante : on y voit le chercheur au travail, n’essayant pas de dissimuler les difficultés. Et elles existent en effet : certaines années sont totalement dépourvues de sources (la correspondance a été perdue), il ne reste de certaines productions de Racine qu’un titre glané au détour d’un article de journal de l’époque. Il est alors tentant de procéder à des raccourcis certes séduisants mais intellectuellement peu satisfaisants, de chercher dans l’œuvre ce que les sources ne disent pas de l’homme : c’est ce que n’ont pas hésité à faire les fils du grand homme. Et c’est précisément contre quoi G. Forestier s’est appliqué à lutter avec brio.

Cécile Obligi
( Mis en ligne le 21/02/2007 )
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