L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Biographie  

John F. Kennedy - Une famille, un président, un mythe
de André Kaspi
Complexe - Destins 2007 /  19.90 €- 130.35  ffr. / 369 pages
ISBN : 978-2-8048-0125-0
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

John F. Kennedy

En démarrant, peut être un peu abruptement, sa biographie par une analyse du coût de la campagne présidentielle de Kennedy, André Kaspi semble signifier d’emblée à l’attention du lecteur sa conception de la biographie de Kennedy, à savoir une histoire décomplexée de l’homme d’Etat, au prisme des réalités politiques américaines. Dallas, la nouvelle frontière, Jackie, «happy birthday, Mr president»… Certes, mais avant le mythe, il y a déjà une carrière politique construite comme un produit marketing, un mandat à analyser, un bilan à établir, des questions à poser, devenues classiques à propos de ce personnage trop beau pour n’être vraiment qu’honnête.

Professeur émérite à l’université de Paris Sorbonne et spécialiste réputé de l’histoire américaine (il est notamment l’auteur d’une biographie de Roosevelt, d’une évocation du Watergate et d’ouvrages de références sur l’histoire et la société américaine), André Kaspi revient sur ce personnage qui fascine tant les Français et qui aura incarné, parfois en dépit des faits, une forme de modernité politique qui demeure fondée (et dès l’élection, face à un Nixon qui ne dit pas de choses différentes, mais qui les dit différemment, plus platement).

Il s’agit donc d’une biographie politique : à cet égard, André Kaspi passe aisément de l’individu Kennedy à son personnage, du président au mythe politique (ce n’est pas un hasard si c’est dans la partie sur l’apprentissage politique qu’il aborde la question du mariage avec Jacqueline Bouvier, future Jackie). Aussi explore-t-il dans une première partie les racines du mythe : John Kennedy n’est pas seulement ce météore de la politique américaine, qui parvient à vaincre aux primaires de fins renards comme Lyndon Johnson et Adlaï Stevenson, et à s’assurer l'appui du parti démocrate. Il est aussi le fruit, l’émanation d’un clan. André Kaspi entame donc son Kennedy par une histoire du dit «clan». Et bien logiquement de son patriarche, Joseph, dont on a depuis longtemps souligné les ambitions politiques frustrées (mais il obtient tout de même l’ambassade de Londres), le sens aigu des affaires (la figure mi détestée, mi adulée de l’entrepreneur), les amitiés douteuses… Dans la famille Kennedy, on croise également Rose, la mère, ainsi que Robert, le frère et associé jusque dans la «malédiction». Portrait de groupe (ponctué, comme une sorte de conclusion, par un autre tableau, celui des Kennedy «après» Dallas, avec la fin tragique de John John en écho à celle de son père et de son oncle…). Si le thème de la malédiction affleure (version dramatisée du «pas de bol»), le mythe demeure, celui d’une famille américano-irlandaise, catholique, qui a su se tailler un chemin.

S’ensuit un récit des «1000 jours», en commençant par l’élection : une page d’histoire américaine autant qu’une vie. Et l’élection de Kenendy, c’est déjà la victoire d’une personnalité plutôt que d’un programme (mais on attendait des pages sur les entourages, les coulisses, les rumeurs inévitables de collusion avec la mafia… silence). Puis le travail, le «job» en lui-même, fait l’objet d’un plan à tiroir qui traite dossier après dossier, thème par thème… un peu austère mais efficace : politique extérieure, questions sociales, économie…. Une biographie du président, de l’homme public après celle de l’homme. On reste un peu étonné par le peu de visibilité du jeune président au sujet de son équipe, dont beaucoup sont nommés sur une vague réputation, mais cela tourne, et mieux encore, cela ressemble presque à une version américaine du Grand ministère. Restent les dossiers. En premier plan, la politique extérieure pour un jeune président qui hérite d’une question délicate (un passif selon l’expression heureuse de l’auteur, passif qui lui sera complètement attribué par l’opinion, très injustement), Cuba et Castro. En arrière plan : la guerre froide, la défense du monde libre et les relations parfois complexes avec l’allié européen. La politique intérieure fait également l’objet de nombreux développements, même si l’on peut regretter que le volet judiciaire et la question du crime organisé (un des fleurons de Robert Kennedy) soit un peu laissés de côté.

De même, on s’étonnera, dans un ouvrage riche et sur un thème stimulant, de l’absence d’introduction et de conclusion : timidité, hésitation ou choix d’écriture, on doit regretter en tous les cas ce morceau classique et nécessaire qui veut qu’avant d’introduire un lecteur dans une existence, on lui en fasse l’article. Mais c’est un défaut mineur au regard d’une biographie écrite d’une plume sobre et solide, pensée comme une page d’histoire américaine, un bilan à la fois individuel et gouvernemental, ainsi que comme une réflexion plus générale sur le métier de président des Etats-Unis, sur la modernisation de la vie politique et le poids de la communication… Sur ce qu’est au final un mythe politique à l’époque contemporaine, comment il se fabrique et quelle est sa «fortune» intellectuelle.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 11/05/2007 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)