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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Vauban
de Anne Blanchard
Fayard 2007 /  30 €- 196.5  ffr. / 686 pages
ISBN : 978-2-213-63410-4
FORMAT : 14,5cm x 22,5cm

Edition revue et corrigée

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.


La gloire de l’ingénieur

2007, année Vauban ? Si le nom est connu, si nombre de forteresses françaises peuvent s’enorgueillir de cette sorte d’AOC militaire, l’architecte semble, lui, écrasé par cette renommée. Qui connaît encore Vauban, au-delà du bâtisseur ? Les amateurs d’histoire et de grande biographie disposent pourtant, avec l’ouvrage d’Anne Blanchard - publié une première fois en 1996 et réédité pour l’occasion – d’un travail de référence, biographie classique due à la plume d’une spécialiste universitaire, professeur à l’université Paul Valéry, décédée depuis lors. Entre histoire militaire et histoire des élites, la biographie de Vauban s’inscrit dans ce courant historiographique qui s’intéresse aux élites techniciennes de l’ancien régime et cherche, hors de Versailles, les voies d’une histoire de la modernisation de l’Etat royal.

Car on ne saurait réduire Sébastien le Prestre, sieur de Vauban (1633-1717), au seul architecte militaire révolutionnant la poliorcétique : figure de noble crotté en quête d’ascension et de reconnaissance, de l’honnête homme industrieux, du serviteur zélé de la monarchie louis-quatorzienne, Vauban trace un sillon depuis son Morvan natal jusqu’au sommet de l’Etat, où ses talents, ses connaissances, son habileté le désignent aux bons soins de la fortune. Certes, l’armée et la guerre le révèlent : au service du pré carré et de sa défense, il démarre tout jeune une carrière militaire en 1651, mais ce n’est qu’en 1655 qu’il accède à la charge d’ingénieur, première marche jusqu’à la dignité de maréchal. Avec cette biographie, on découvre déjà un tableau de l’histoire militaire de la France en guerre sous le règne de Louis XIV, avec quelques gloires, comme Turenne ou Louvois – protecteur encombrant de Vauban. Car Vauban est de toutes les campagnes, et comme commissaire général aux fortifications, il lui incombe autant de protéger le royaume que d’assiéger ses ennemis. C’est également un précieux travail en histoire de l’Etat et de son administration, consacré à un corps en devenir, celui du Génie - et à une fonction qui se développe, celle d’ingénieur - et qui, bientôt, passe de la tutelle du ministère de la Guerre à une relative autonomie au sein d’un département des fortifications.

Depuis la fin du moyen-âge et les guerres d’Italie, l’artillerie s’est imposée sur le champ de bataille comme face aux villes, les fortifications ont évolué selon une «trace italienne» qui suppose, tant du côté des défenseurs que des assiégeants, des spécialistes rompus à la sape, la contre sape, l’édification de bastion… Devenu, très officieusement, «chef des ingénieurs» du royaume, Vauban forme des ingénieurs, parcourt le royaume, consolide les places fortes et sa position sociale. Evoluant au sein des réseaux aristocratiques, il mène de front son ascension dans les honneurs, via mariage, parentèles… et sa carrière professionnelle dans une époque fertile en conflits, au service d’un roi guerrier.

Mais comme serviteur de l’Etat monarchique, l’homme sait mettre également son esprit pratique au service du nerf de la guerre, cet argent qui fait constamment défaut au monarque comme à ses grands commis (les fortifications coûtent fort cher…) : c’est le projet de dixme royale, pour le soulagement des peuples et des dettes, mémoire achevé dès 1700, publié en 1706… et censuré dès 1707. Réformateur (il rédige nombre de mémoires, plutôt techniques, consacrés à la gestion des forêts, à la circulation fluviale…), Vauban se heurte, comme tant d’autres, à l’inertie de l’Etat. Nul n’est prophète hors de son domaine. Mais il est intéressant d’évaluer, en ce domaine comme dans le domaine militaire, les freins qui bloquent, par endroit, le char de l’Etat et le font verser.

L’ouvrage est d’une facture classique, universitaire et incontestablement efficace : un style sobre au service d’une érudition impeccable, un appareil de notes, une bibliographie et des sources, un index, des cartes et quelques documents annexes – les «preuves» dit-on parfois – témoignent de la solidité d’une biographie très réussie, celle d’un commis de l’Etat qui sillona plus souvent les chemins du royaume que les couloirs des palais. C’est donc avec confiance qu’il faut se laisser guider par Anne Blanchard dans ce destin : le plan déroule chronologiquement le cours d’une existence riche et heurtée, de l’enfance à la vieillesse, existence scandée par les guerres et les grades, avec, en toile de fond, ce «Grand siècle» qui ne se reflète pas, cette fois, dans les glaces de Versailles, mais plutôt dans le tumulte de la guerre.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 06/09/2007 )
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