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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Saint Augustin
de Serge Lancel
Fayard 1999 /  27.48 €- 179.99  ffr. / 792 pages
ISBN : 2-213-60282-4

Ad Augustin per angusta*

Traiter de la vie d'un saint n'est jamais chose aisée, notamment lorsqu'il s'agit du plus grand des Pères latins : à la nécessité d'éviter l'apologie de type hagiographique ou une analyse psychologique réductrice s'ajoute la difficulté de dominer une bibliographie impressionnante. En annonçant dans son avant-propos son intention de traiter la vie et l'oeuvre de saint Augustin à la lumière des récentes découvertes de lettres et de sermons, Serge Lancel donne le ton de sa biographie: une synthèse nourrie des travaux les plus marquants qu'a pu susciter le docteur de la grâce, écrite pour un non-spécialiste cultivé.

Fort de sa maîtrise de l'histoire de l'Afrique du Nord dans l'Antiquité et de ses compétences archéologiques, Serge Lancel retrace avec bonheur la vie complexe de saint Augustin : une première partie consacrée à "l'enfant de Thagaste" nous fait suivre le parcours de ce numide né en 354, devenu professeur de rhétorique et manichéen, ainsi que la conversion à Milan (386) puis le baptême (387).
La deuxième partie étudie son rôle de pasteur comme "évêque d'Hippone", marqué par de nombreuses controverses contre les manichéens et les donatistes, tenants d'une ecclésiologie rigoureuse. Enfin, la troisième partie, plus spéculative, analyse l'opposition vigoureuse menée par saint Augustin contre Pélage et Julien d'Éclane sur la place du libre arbitre, de même que les grandes oeuvres de la maturité et de la vieillesse du "docteur de la grâce".

On ne peut qu'admirer le talent avec lequel l'auteur parvient à présenter les crises politiques et doctrinales majeures du temps de manière vivante et fouillée, sans jamais alourdir le cours de son récit. Son style alerte excelle à peindre les grandes heures de la vie de saint Augustin (de la conversion à la mort dans Hippone assiégée), les nombreuses dissensions de l'Église d'Afrique et sa place originale dans l'Empire romain.

Ce souci du détail et de la rigueur ne fait jamais perdre de vue au lecteur l'unité de la vie et de l'oeuvre. Le chapitre sur les Confessions (pp. 290-312) est, à cet égard, caractéristique de la méthode de Serge Lancel : il sait faire entrevoir l'élaboration et la composition du plus célèbre des ouvrages d'Augustin, tout en discutant les gloses qui ont pu le recouvrir.
Cette attention critique aux conditions de l'écriture ainsi qu'à sa réception et aux multiples reconstructions postérieures, est un principe très fécond qui rompt une compréhension trop monolithique de la pensée augustinienne. Ainsi montre-t-il le poids des circonstances et de la polémique, comme dans l'affrontement avec Pélage sur le rôle de la grâce dans l'oeuvre de la Rédemption. Il ne relativise pas l'exigeante doctrine de saint Augustin, mais en fait percevoir le cheminement parfois complexe. La réflexion du docteur, replacée dans son contexte, y gagne en richesse : se trouve alors disqualifiée l'image d'un saint Augustin janséniste avant l'heure, installant au coeur du christianisme le dogme du péché originel, écrasant l'homme sous le poids d'un fatum et d'une culpabilité insupportables. Bien qu'on puisse regretter la faible part laissée au mystique et au maître de vie intérieure qu'il est aussi, l'attention portée à cette vie bien remplie de pasteur n'élude pas les questions théologiques, donnant ainsi à la figure de saint Augustin tout son sens.

Toutefois, outre l'absence de carte représentant le cadre administratif de l'Empire, on pourrait émettre deux réserves qui tiennent au caractère catholique conféré au saint. En effet, si cette note théologique qui avec l'unité, la sainteté et l'apostolicité fonde l'Église, est bien représentée par ce docteur, c'est qu'avant d'avoir été un Père de l'Église, il en a été l'enfant: quelques précisions s'imposaient peut-être sur la vie même de cette "société" qu'est l'Église notamment dans sa vie liturgique et sacramentelle.

En outre, Serge Lancel prête à saint Augustin une certaine méfiance concernant d'hypothétiques "récupérations qu'il pouvait prévoir", "façon de récuser d'avance tous les augustinismes" (p. 546). L'universalité même de sa pensée et sa confiance dans les corrections qui pouvaient lui être apportée nous semblent s'opposer à cette assertion. On est bien prêt, par exemple, à admettre un déplacement conceptuel postérieur dans la théorisation des deux Cités : la perspective eschatologique de la lutte de la Cité céleste et de la Cité terrestre fut parfois réduite au combat des deux pouvoirs pontifical et impérial au sein de la respublica christiana. Il est toutefois un peu rapide de parler de reniement, même allègre, pour qualifier les augustinismes politiques médiévaux et modernes. De tels prolongements dans de si nombreux domaines et directions, avec tous les risques du contresens, sont davantage le signe d'une oeuvre vivante. Quant aux autres réticences de Serge Lancel devant les augustinismes, il est difficile d'en juger tant les quelques critiques qu'il avance demeurent allusives.

En dépit de ces réserves, il y a donc beaucoup à glaner dans ce livre tant pour mieux connaître le docteur d'Hippone et son temps que pour goûter l'équilibre que requiert l'écriture d'une biographie. Formons un souhait qui rejoint sans doute les voeux de l'auteur : que cet ouvrage suscite à saint Augustin de nouveaux lecteurs et invite les autres à approfondir une pensée qu'aucun augustinisme n'est susceptible d'épuiser.

*Ad Augustin per angusta :
"Vers Augustin par des voies étroites"

Cédric Giraud
( Mis en ligne le 08/08/2001 )
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