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Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

Manuel de survie à l'Assemblée nationale - L'art de la guérilla parlementaire
de Jean-Jacques Urvoas et Magali Alexandre
Odile Jacob 2012 /  23.20 €- 151.96  ffr. / 256 pages
ISBN : 978-2-7381-2769-3
FORMAT : 14,5cm x 22cm

Bastien François (Préfacier)

L'Opposition dans l'Assemblée

«La peur des coups n’est pas toujours le commencement de la sagesse : il faut souvent, dans l’intérêt public, se décider à en porter et se résigner à en recevoir. La tour d’ivoire ne convient qu’aux poètes. Il est du devoir des autres d’en descendre pour se mêler à l’action. La politique est une bataille dont on ne peut pas recueillir les bénéfices sans en courir les risques. Si vous ne voulez pas que le Politique soit un politicien et que le mandat s’avilisse en métier, frottez-vous d’huile, entrez dans l’arène et livrez le bon combat pour la cause que vous jugez bonne. Il y a, même en temps de paix, des services commandés».

Réaliste, le propos l’est assurément. C’est Louis Barthou qui le tint. Il faut dire qu’il connaissait bien la politique. Originaire des Basses-Pyrénées, n’avait-il pas été tour à tour député, sénateur, ministre et président du Conseil sous la IIIe République ? Cette citation quelque peu désenchantée, Jean-Jacques Urvoas et Magali Alexandre l’ont placée en exergue de leur Manuel de survie à l’Assemblée nationale. Dans ce passionnant ouvrage, dernièrement paru aux éditions Odile Jacob, les auteurs – respectivement député PS du Finistère et collaboratrice du groupe socialiste à l’Assemblée nationale - s’interrogent sur ce que font «vraiment» nos députés et sur les armes auxquelles ils recourent lors des combats politiques, selon qu’ils soutiennent le gouvernement ou qu’ils sont issus des rangs de l’opposition.

Comment concrètement s’opposent-ils les uns aux autres ? Certes, il est acquis depuis longtemps que l’opposition parlementaire est censée remplir des fonctions essentielles, telles que notamment la critique, le contrôle et le fait d’être une alternative au gouvernement, mais encore faut-il qu’elle en ait les moyens. Ce qui en France n’est pas toujours le cas, loin s’en faut. L’une des raisons de cette situation à tout le moins délétère parait découler de la culture politique hexagonale : si outre-Rhin les rapports entre le gouvernement et les parlementaires sont par exemple plutôt coopératifs et consensuels, tel n’est pas le cas en France, où le conflit et la guerre civile larvée paraissent demeurer l’horizon indépassable de la vie politique.

Comme le rappellent les auteurs dès leur propos introductif, «la vie parlementaire, c’est avant tout un champ de bataille permanent où se succèdent guerres de tranchées et opérations commandos. C’est le théâtre de manœuvre d’un conflit qui ne cesse à peu près jamais. Les armistices y sont souvent brefs, les revanches, méthodiquement préparées et les rancœurs, tenaces. On y croise des snipers comme des soldats de troupe, des généraux comme des agents de renseignement». La joute y est donc omniprésente. Dans cette enceinte, précisent les auteurs, «les rôles sont écrits mais les interprètes [les] abordent et [les] jouent selon leur tempérament et leur inspiration». De plus, «les rites sont respectés sans pour autant être enseignés». Bref, indiquent les auteurs, tout nouvel élu devra faire montre d’une infinie patience avant de saisir et de maîtriser totalement les rouages de l’Assemblée nationale.

A la suite d’une brève présentation de la place de l’Assemblée nationale dans le système de gouvernement de la Ve République, corsetée par le parlementarisme rationalisé et le présidentialisme majoritaire, les auteurs versent dans ce que l’on pourrait appeler la «psychologie politique». Ils s’efforcent en effet de mettre en relief les ressorts efficaces et profonds de l’action de la majorité et de l’opposition. Alors que la première soutient le gouvernement contre vents et marées, ainsi que le relevait naguère W. Bagehot, et s’acharne à «mettre à genoux l’opposition», la seconde se livrerait principalement à la guérilla parlementaire. Il s’agit pour l’essentiel d’entraver l’action du bloc majoritaire, notamment avec l’obstruction.

Si la révision constitutionnelle de 2008 entendait rééquilibrer les institutions au profit du parlement, ses effets avérés et potentiels ne paraissent pas être en mesure de remédier à l’assujettissement du parlement, si caractéristique de la Ve République. Bien que certaines des innovations introduites en juillet 2008 semblent tout à fait positives, en matière de contrôle parlementaire notamment, le constat est finalement amer : «soit les députés ne se saisissent pas de ces nouveaux droits, soit ils n’en ont pas la capacité». Solidaire du gouvernement, «la majorité (…) se bride elle-même» et le combat de l’opposition – en raison de son infériorité numérique et de l’intransigeance de la majorité – est «voué à l’échec».

Sceptiques, les auteurs concluent qu’une énième révision de la Constitution ne parviendrait probablement pas à inverser la tendance. Le changement passerait davantage par une réflexion de l’Assemblée sur elle-même et sur son rôle dans le cadre d’une démocratie moderne.

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 17/04/2012 )
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