L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

Du conservatisme
de Michael Oakeshott
éditions du Félin 2012 /  11 €- 72.05  ffr. / 108 pages
ISBN : 978-2-86645-770-9
FORMAT : 11,3 cm × 17,2 cm

Jean-François Sené (Traducteur)

Adrien Guillemin (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.


D’un conservatisme libérateur

Publier, comme ont l’audace de le faire les Éditions Félin, un essai intitulé Du conservatisme relève presque de la bravade en cette ère où la croissance, la mobilité et la cohorte des avatars de l’idéologie progressiste semblent entraînées derrière une locomotive emballée. Pourtant, ce texte est une excellente introduction à l’esprit d’une doctrine fort étrangère à nos modes de pensée actuels.

L’auteur de ce texte bref, issu d’une conférence prononcée en 1956, demeure largement méconnu du public francophone. Michael Oakeshott (1901-1990) fut un éminent historien et philosophe mais son aire de reconnaissance se borna au monde anglo-saxon. Il entretint durant toute sa vie un intérêt particulier pour les sciences politiques (matière qu’il enseigna d’ailleurs à la London School of Economics) et est sans doute l’un des tenants les plus représentatifs du courant de pensée conservateur, au sens britannique du terme.

N’ayant rien à voir avec l’attitude de rigidité doctrinale et de frigidité vertueuse à laquelle on a tendance à facilement l’identifier, le conservatisme se veut une disposition morale, mêlant pragmatisme et sens aigu de la responsabilité individuelle. Bien qu’ayant quelques points communs avec le libéralisme (notamment dans le lien souple qui doit exister entre l’État et les citoyens selon les initiatives, les choix de ceux-ci), le conservatisme s’en détache par le fait qu’il prône un scepticisme constant vis-à-vis du changement et de la nouveauté. Cette méfiance tire son origine du concept qui est au cœur du conservatisme, à savoir celui de «familiarité». Comme l’explique Adrien Guillemin dans sa préface, tout ce qui vient bousculer ou remettre en question ce mélange de «cristallisation des expériences vécues et des habitudes acquises» est considéré comme suspect, voire potentiellement nocif à l’harmonie des êtres et de la société dans son ensemble.

Le credo professé par Oakeshott est limpide et mérite d’être longuement cité, car il pourrait tenir lieu de manifeste : «Être conservateur, c’est donc préférer le familier à l’inconnu, ce qui a été essayé à ce qui ne l’a pas été, le fait au mystère, le réel au possible, le limité au démesuré, le proche au lointain, le suffisant au surabondant, le convenable au parfait, le rire de l’instant présent à la béatitude utopique. Les relations et les loyautés familières seront préférées à l’attrait d’attachement plus profitable ; acquérir et accroître importeront moins que conserver, cultiver et apprécier ; la douleur de la perte sera plus intense que l’excitation de la nouveauté ou de la promesse».

D’ici quelques siècles, lorsqu’un philologue exhumera les quelque 80 pages qui forment Du conservatisme, il pourra se croire face à un traité de sagesse antique, traitant du bonheur personnel autant que de celui de la Cité, un peu comme nous envisageons aujourd’hui les aphorismes d’un Confucius. Oakeshott mérite donc plus qu’une redécouverte pour l’anecdote ; il doit être à nouveau entendu, discuté et relayé par tous ceux qui se prétendent les adversaires de l’hubris contemporaine.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 03/07/2012 )
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