L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

Juger en Amérique et en France
de Antoine Garapon et Ioannis Papadopoulos
Odile Jacob 2003 /  27 €- 176.85  ffr. / 322 pages
ISBN : 2-7381-1353-2
FORMAT : 16x24 cm

Deux cultures juridiques distinctes

A l'heure de l'instauration du "plaider coupable" dans le système judiciaire français, que ses opposants considèrent comme une regrettable américanisation de notre procédure, Antoine Garapon, magistrat et directeur de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice, et Ioannis Papadopoulos, juriste et enseignant, se proposent de comparer les systèmes judiciaires français et américain ainsi que de réfléchir à la conception du droit et de la justice qui les sous-tend.

Après deux premiers chapitres quelque peu abscons sur la notion de culture juridique et sur la "common law", les auteurs consacrent un développement particulièrement intéressant à la théorie économique de la justice, appliquée notamment au plaider coupable. S'ensuit une réflexion sur la conception du procès, de la valeur de la preuve, du rôle du juge et du jury, du sens du jugement et de la peine dans les deux systèmes judiciaires.

Les auteurs expliquent l'existence de différences procédurales majeures entre ces deux pays par l'opposition de deux cultures juridiques distinctes, la "common law" dans les pays anglo-saxons et la "civil law" en Europe continentale. Ainsi, s'agissant du système judiciaire civil, le juge de "civil law" est chargé de faire une stricte application de la loi au terme d'un syllogisme judiciaire. Le juge de "common law" doit en revanche créer le droit au terme d'une argumentation solide et longuement détaillée dans son jugement. De même, les pays de "common law" et de "civil law" s'opposent quant à leur système pénal. Les premiers connaissent en effet un système accusatoire, dans lequel le procès est entre les mains des parties, Procureur y compris, et de leurs avocats. Le juge a alors un rôle d'arbitre et de garant du respect des droits procéduraux. A l'inverse, les pays de "civil law" connaissent un système pénal inquisitoire, où le juge, incarnation de la souveraineté de la loi et de l'Etat, dispose de l'essentiel des moyens d'enquête.

Cet ouvrage, qui s'adresse malheureusement moins à des profanes qu'à des praticiens du droit, apporte au lecteur un éclairage sur la procédure américaine qui est l'occasion de sortir des clichés déversés par la littérature et le cinéma américains ou tout simplement par la presse française, toujours prompte à critiquer les Etats-Unis et la judiciarisation de leur société. Il permet cependant de découvrir certaines particularités du système anglo-saxon (existence de la règle du précédent, nécessité de demander l'autorisation de faire appel d'une décision au juge, rôle prégnant du jury, véritable organe de légitimation démocratique du jugement tant civil que pénal, système de peines fixes...) qui laissent songeur quant à l'opportunité d'un rapprochement entre ces deux systèmes, fondés sur des conceptions fort différentes de la justice et du droit de part et d'autre de l'Atlantique.

Il faut toutefois regretter la juxtaposition d'idées et d'exemples, certes pertinents, mais parfois sans lien direct, qui ont tendance à faire perdre au lecteur le fil d'une réflexion qui s'éparpille. A déplorer également, certaines affirmations péremptoires particulièrement fâcheuses. Ainsi, les magistrats français seront probablement étonnés d'apprendre que la rareté des juges va de pair avec leur qualité. Les auteurs estiment en effet que les juges anglais sont de grande qualité, alors qu'"en France, le grand nombre de juges rend la qualité plus aléatoire : d'où la nécessité de prévoir des voies de recours pour s'assurer que justice sera effectivement rendue. [...] Ce droit à l'appel entraîne de multiples effets pervers, y compris chez les juges, qui sont tentés de traiter vite les affaires en première instance puisqu'il savent que la décision définitive interviendra au niveau de l'appel, une fois que les contentieux de masse auront été dégraissés." A bon entendeur…

Bénédicte Bertrand
( Mis en ligne le 21/04/2004 )
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