L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

Essai sur les garanties individuelles que réclame l'état actuel de la société
de Jean-Paul Clément
Belin - Littérature et politique 2000 /  29.47 €- 193.03  ffr. / 222 pages
ISBN : 2-7011-2627-4

Daunou philosophe

A la réputation de Daunou (1761-1840), comme à celle de ses amis "idéologues" (Cabanis, Volney, Destutt de Tracy...) est attachée la frivolité, l'inconsistance de la Convention thermidorienne et du Directoire. Il est facile de faire de Daunou un naïf, ne voyant pas se profiler 1793 derrière 1789, un velléitaire, refusant de voter la mort de Louis XVI, un lâche, incapable de défendre, lors de la rédaction de la constitution de l'an VIII, ses conceptions devant Bonaparte. Mais, quand on considère l'oeuvre abondante d'historien et de penseur politique que Daunou a produite à l'âge de la maturité - dont l'[Essai sur les garanties individuelles] constitue l'un des plus beaux fleurons - on s'aperçoit vite qu'un tel portrait relève de la caricature.

Le propos de l'Essai sur les garanties individuelles est simple. Daunou, qui, par son âge et son expérience, faisait, en 1819, figure de vieux sage, entend, non sans ingénuité, revenir, par delà les circonstances, aux principes du gouvernement, et définir, pour celui-ci, une sorte de code de bonne conduite, quelle que soit sa forme et... sa durée.

On peut se livrer à deux lectures du texte de Daunou.
La première le rapproche des circonstances immédiates : quand l'auteur parle de "la tyrannie qui a brillé pendant douze ans de la gloire de ses heureux attentats", on lit l'Empire; quand il affirme qu'"un papier, quel que soit son gage, n'est pas une monnaie", on devine les assignats; quand il indique que "l'équité réprouve les dispositions rétroactives qui infirmeraient les acquisitions légalement faites jusqu'alors", on comprend qu'il prend parti dans la querelle des biens nationaux.

La seconde amène à considérer le texte dans ce qu'il apporte à l'histoire de la philosophie politique. Car, avec une langue claire et précise, qui n'a rien à envier à celle de Tocqueville, examinant tour à tour, en des démonstrations brillantes, les questions de la sûreté des personnes, de la propriété, de l'industrie, de la liberté de conscience... Daunou fait magistralement le départ entre ce qui touche aux intérêts fondamentaux d'une société et ce qui ne relève que des circonstances ou de l'accessoire. Quand on referme son ouvrage, on ne compte plus les principes essentiels à ses yeux qui sont aujourd'hui violés dans l'exercice quotidien de la justice ou dans la réalité concrète du gouvernement des hommes.

Certes, les thèses de Daunou ne sont pas sans contradictions. On ne suit pas toujours la distinction subtile qu'il fait entre l'opinion publique, à la base de son système de représentation politique, et les opinions populaires, "amas informe de superstitions grossières ou d'exagérations licencieuses, servant de points d'appui à tous les genres de tyrannies ou d'impostures". Car, si Jean-Paul Clément en fait à bon droit, dans sa présentation, "un précurseur de la IIIe République", Daunou, même s'il se montre "opportuniste" et soucieux d'asseoir le gouvernement sur les libertés, n'est en rien un progressiste: on ne sent guère chez lui que des préjugés pour ce qui deviendra dans la bouche de Gambetta les "nouvelles couches", qu'il n'envisage jamais d'instruire par l'école. Mais, à l'issue de la lecture de l'Essai... il n'est plus permis de l'accuser de n'être qu'un vain doctrinaire, tant sa parole sonne juste et paraît nourrie de l'expérience du gouvernement et de l'Histoire, comme de la fréquentation des auteurs anciens.

Si l'on ne peut que remercier l'éditeur d'avoir rendu vie à ce texte fécond, il faut toutefois formuler deux regrets. D'abord, celui de ne pas disposer d'une édition critique, ce qui aurait permis d'ouvrir les arcanes d'un texte parfois subtil au plus grand nombre, y compris à un éventuel public de lycéens ou d'étudiants, soucieux d'instruction civique. D'autre part, de ne bénéficier que d'une préface partielle, car si son auteur, Jean-Paul Clément, emporte la conviction quand il réhabilite la figure du Daunou révolutionnaire, il ne nous dit presque rien de l'oeuvre d'historien "total". Celui-ci à la fois professeur au Collège de France et archiviste général, sous l'Empire comme sous la monarchie de Juillet, s'était voué depuis plus de quinze ans à son grand oeuvre quand il rédigea l'Essai sur les garanties individuelles. Il est dommage que cette édition ne soit pas l'occasion de rendre justice à une oeuvre dont Claude Nicolet avait le premier dans [L'Idée Républicaine en France] (Gallimard, 1985), signalé l'intérêt. Est-ce à dire que le style des vingt volumes du Cours des leçons historiques de Daunou au Collège de France est moins alerte que celui de l'Essai ?

Jean-Philippe Dumas
( Mis en ligne le 25/04/2000 )
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