L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Une sociologue au Conseil constitutionnel
de Dominique Schnapper
Gallimard - NRF Essais 2010 /  22,50 €- 147.38  ffr. / 452 pages
ISBN : 978-2-07-012570-8
FORMAT : 14cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

Le Conseil constitutionnel, ''troisième chambre législative'' ou juridiction ?

«Des sociologues, peut-on lire dans la présentation de l'ouvrage de Dominique Schnapper, se sont faits boxeur, vagabond ou joueur de poker, afin d'observer de l'intérieur un milieu particulier (...)». De 2001 à 2010, Dominique Schnapper a siégé au Conseil constitutionnel. Se singularisant de la plupart des membres habituels du Conseil du fait de son profil universitaire, Dominique Schnapper est non seulement la première sociologue à être accueillie parmi les «Sages», mais également la première à s’adonner à l’analyse sociologique de l’institution.

Pour ce faire, Dominique Schnapper retrace la genèse du Conseil. «Créé par inadvertance» (p.49), il s’inscrit à rebours du légicentrisme hexagonal. «Le Conseil, écrit-elle, rompt avec la tradition française établie par la IIIe République : contrôler l’activité parlementaire au nom du respect de la constitution alors que les assemblées parlementaires ont toujours été souveraines» (p.41). L’ambition gaullienne de mettre un terme au «régime des partis» s’est concrétisée par l’introduction du parlementarisme rationalisé en France et la mise en place du Conseil constitutionnel, auquel les articles 56 à 63 de la constitution de la Ve République sont consacrés. Veiller à ce que le parlement ne s’affranchisse pas des bornes que l’article 34 de la constitution assigne au domaine de la loi, telle était la mission essentielle de l’institution.

Au terme de la révolution juridique de 1971/1974, ce «club de retraités et de notables» (p.54) finira peu à peu par s’émanciper de la tutelle du pouvoir exécutif. La décision historique du 16 juillet 1971 dite Liberté d’association (DC 71-44) «démontra la nouvelle indépendance du Conseil à l’égard du pouvoir. Mais elle n’acquit sa pleine efficacité que trois ans plus tard, lorsque fut adoptée la révision constitutionnelle voulue par Valéry Giscard d’Estaing nouvellement élu président de la République» (p.71). En se fondant en 1971 sur le Préambule de la constitution de 1958, le Conseil constitutionnel a de sa propre initiative élargi le bloc de constitutionnalité. Révolution que Robert Badinter a naguère qualifiée de «véritable coup d’Etat juridique»(p.75). Celui-ci comprend désormais le préambule de la constitution de 1946 qui «affirme et complète» (p.73) la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Par le biais de cette métamorphose juridique, le Conseil transcende, en sus, son rôle initial d’«organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics» pour s’imposer en «protecteur des droits et libertés de l’homme et du citoyen» (p.75). Œuvrant tant à la modernisation qu’à la «décrispation» de la vie politique française, Valéry Giscard d’Estaing s’évertuera à donner un statut à l’opposition politique. A cet effet, le droit de saisine du Conseil constitutionnel sera élargi lors de la révision de la constitution en 1974 à soixante députés ou à soixante sénateurs. Ce qui a eu pour effet de démultiplier l’activité du Conseil, les rigueurs du parlementarisme rationalisé s’imposant non plus exclusivement aux parlementaires, mais également au gouvernement, placé dès lors dans la situation d’éviter «toute application unilatérale des règles constitutionnelles»(p.76).

Suite à ce bref historique, Dominique Schnapper s’interroge sur la nature profonde de l’institution. Le Conseil constitue-t-il une institution politique ? Peut-on le considérer, à l’instar d’Alec Stone Sweet, comme une «troisième chambre législative» (p.28) à part entière ? Ne présente-t-il pas, par ailleurs, les traits d’une juridiction ? Le Conseil ne laisse pas d’être déroutant. Que penser, en effet, du mode de nomination des conseillers : n’est-il pas trop politique, alors que les compétences et qualifications juridiques devraient primer sur les contingences et sympathies partisanes ? La prééminence de Sages issus du sérail parlementaire ne tend-t-elle pas à démontrer que le Conseil est une institution hybride, à mi-chemin entre l’institution politique et la juridiction à proprement parler ?

Outre ces questions d’ordre juridique, Dominique Schnapper se penche entre autre sur l’interprétation – habituellement restrictive - par le Conseil de son champ de compétence, sur le «travail au jour le jour» (p.273) dans l’enceinte du palais Montpensier, sur les ressorts du processus par lequel les conseillers élaborent les décisions, sur les impératifs de cohérence et de stabilité que le Conseil entend faire prévaloir dans ses sentences ainsi que sur les conditions du revirement de jurisprudence. Faisant montre d’une connaissance très fine de l’univers du Conseil, l’approche de Dominique Schnapper est très rigoureuse et scientifique. Il est, d’autre part, particulièrement appréciable de pouvoir approfondir les réflexions présentées dans l’ouvrage par le biais des renvois très précis à la fin du livre. Les comparaisons avec les systèmes de contrôle de la constitutionnalité des lois des autres pays démocratiques enrichit une réflexion très complète et permet de songer aux éventuelles évolutions du Conseil.

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 06/04/2010 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)