L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Le crime aux Etats-Unis
de Alain Bauer et Emile Perez
PUF - "Que sais-je ?" 2003 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 126 pages
ISBN :  2-13-053569-0
FORMAT : 11x18 cm

L'auteur du compte-rendu: Agrégé et docteur en Histoire, Adrien Lherm est maître de conférences à l'université de Paris IV où il enseigne la civilisation des Etats-Unis. Il est l'auteur de La culture américaine (Editions du Cavalier Bleu, 2002).


Dangereuse Amérique ?

Nombreuses sont les publications portant sur le crime organisé aux Etats-Unis dans la première moitié du XXe siècle, mais dans ce petit livre de synthèse, Alain Bauer, criminologue, et Emile Pérez, contrôleur général de la police nationale, en actualisent les données : nature du crime, évolution de ses formes, contexte des différentes violences, mesures adoptées et pesées de leurs effets, voici quelques-uns des sujets abordés au long de ses 120 pages.

Les auteurs notent, statistiques à l'appui, qu'aux Etats-Unis la criminalité a fortement baissé dans les années 1990, après avoir atteint des sommets au tournant de la décennie, mais que son niveau actuel demeure supérieur à celui prévalant dans les années 1960, avant son inflation. Ils y retrouvent le paradoxe tocquevillien qui veut que sa diminution s'accompagne d'une sensibilité exacerbée de l'opinion publique à son égard. Aussi le sentiment d'insécurité ambiante reste-t-il dominant. Les autorités, politiques, judiciaires, policières, élues, l'entendent : d'où des programmes de répression accrue, des stratégies carcérales poussées (plus de 2 millions de prisonniers, 1 personne pour 140 habitants!).

Suit un panorama des formes prises par la criminalité. En ce domaine comme en d'autres, l'Amérique déclenche une avalanche de chiffres étonnants. En baisse de 43% depuis 1991, le nombre de meurtres annuels répertoriés avoisinent néanmoins les 16000. On recense plus de 10 millions d'atteintes à la propriété (dont 2,1 millions de cambriolages et 7,1 millions de vols simples), en diminution de 30%, mais représentant un préjudice de 17 milliards de dollars. Les polices procèdent à 14 millions d'arrestations chaque année. 20% des délits, 46% des violences exercées contre les personnes (et notamment 62% des meurtres), 16% des infractions sur les biens, sont élucidés. 3/4 des meurtres concernent des hommes, à 90% majeurs et pour près de la moitié noirs (alors que les Africains-Américains représentent 12% de la population seulement). Les meurtres sont communautarisés : 94% des victimes noires sont tuées par des Noirs, et le taux est de 87% chez les Blancs. A quoi s'ajoutent 90000 viols, 423000 vols avec violence, un peu moins d'un million d'agressions aggravées ou qualifiées.

Le Sud est le plus touché proportionnellement, l'Ouest voit sa situation se dégrader tandis que le Nord-Est enregistre une diminution constante de ces délits. Malgré ces chiffres qui donnent le vertige, les auteurs relèvent, en comparant les statistiques nationales, que tous crimes confondus, et toutes choses étant égales par ailleurs -ce qu'ils prennent le soin de ne pas affirmer-, le taux de délit pour 100000 habitants n'est guère différent de celui de la France, qui de ce point de vue aurait rattrapé les Etats-Unis ; une chose est sûre cependant, ce qui change outre-Atlantique, c'est la nature de la criminalité. Et sa violence.

Des «spécialités» américaines se font jour : les serial-killers (de 30 à 50 actifs en moyenne par an) et les mass-murderers sévissent davantage aux Etats-Unis. Il en va de même de la violence à l'école, même si des épisodes spectaculaires et dramatiques comme les cas de fusillades masquent un recul des occurrences (1,9 millions de délits dont 33 homicides pour 51,5 millions d'élèves et 3 millions d'enseignants en 2000). Nouveauté : la criminalité domestique, qui concernerait 60% des familles et compterait pour 40% des atteintes aux personnes. Autre élément : les 200 millions et plus d'armes qui circulent dans le pays. Le droit d'en porter (IIe Amendement), jalousement défendu par toutes sortes de groupes, n'est guère entravé par les quelques lois fédérales et les législations d'Etat plus nombreuses cherchant à en réglementer l'usage. D'où les 3,6 millions de cas de légitime défense les impliquant. Enfin, les gangs constituent une forme de criminalité traditionnelle. Leur nombre et leur violence, due en particulier aux liens nourris avec les trafiquants de drogue, croissent nettement à partir des années 1980.

Les syndicats du crime quadrillent le territoire et la criminalité organisée est loin d'être uniquement italienne : la relaient ou la secondent dorénavant des réseaux russes, chinois, japonais, colombiens, mexicains, jamaïcains, nigérians très actifs. A quoi il faut ajouter les séparatistes porto-ricains ainsi que les bandes de motards criminalisés, les groupuscules racistes et suprémacistes blancs comme le Klan, les terroristes vigilantistes, certaines sectes (pratiquant le suicide de masse). Nombre prospèrent sur le commerce de la drogue : en 2001, on déplore 1,6 millions d'arrestations pour des motifs de législation sur les stupéfiants, pour une population estimée à 30 millions de consommateurs. Les Etats-Unis blanchiraient 12% de l'argent du crime dans le monde, soit 60 milliards de dollars à tout le moins. De son côté, la cybercriminalité («hacking», fraude, piratage vidéo, pédophilie) se développe rapidement. Sans qu'elle soit, pour le moins qu'on puisse dire, très inquiétée.

Pourtant, la répression est la voie la plus généralement empruntée pour remédier à l'impression dominante d'une violence en constante augmentation, et ce davantage que la prévention, passée plus ou moins au second plan, comme en témoignent la diffusion nationale des peines incompressibles («mandatory minimum drug sentences»), la politique des «three strikes» (prison à perpétuité pour toute troisième arrestation), le nombre à la hausse des exécutions capitales, l'augmentation des effectifs policiers.

Les auteurs reviennent pour conclure sur un cas d'école, la success story new-yorkaise en matière de lutte contre le crime et la délinquance. Intermédiaire entre répression dure et souci de prévention, elle allie «réaction» et «proaction» : augmentation des moyens et des agents, redéfinition des objectifs et politiques, application de la «tolérance zéro», mise en oeuvre d'un programme «Compstat» de cartographie statistique et d'approche détaillée du terrain, enfin souci de proximité et effort d'implication des membres des communautés, la recette adoptée ne va pas sans excès ni bavures, mais en moins d'une décennie elle a fait de la cité, autrefois grande ville la plus dangereuse des Etats-Unis, celle qui est aujourd'hui la plus sûre .

Au titre des regrets, une tendance à l'accumulation de données factuelles, statistiques et descriptives, au détriment d'analyses explicatives sociologiques ou de recadrages davantage historiques ; l'absence d'articulation entre violence et culture et/ou société ; l'occultation de la fascination exercée par le crime aux Etats-Unis, notamment à travers son traitement dans les productions audio-visuelles ; la rapidité de l'analyse portant sur la distorsion entre la réalité de la délinquance et sa perception dominante, en particulier telle qu'elle peut être informée par les médias. 120 pages n'auraient sans doute pas suffi à pareille entreprise : aussi ce livre remplit-il son objectif qui est de donner un panorama contemporain des techniques d'appréhension chiffrée de la criminalité aux Etats-Unis, les différentes formes qu'elle revêt ainsi que leurs évolutions récentes, enfin quelques-unes des méthodes dernièrement appliquées pour la combattre sur ses terrains.

Adrien Lherm
( Mis en ligne le 14/11/2003 )
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