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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

La Dissociété - Edition revue et augmentée
de Jacques Généreux
Seuil - Points essais 2008 /  11 €- 72.05  ffr. / 477 pages
ISBN : 978-2-7578-0688-3
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en octobre 2006 (Seuil).

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.


Pour un socialisme méthodologique

Jacques Généreux est connu par des générations d'étudiants pour ses manuels d'initiation à l'économie. Depuis quelques années, à travers quelques titres, il tend à nourrir le débat politique à gauche, principalement au Parti socialiste, dont il est un des responsables. On lui doit notamment Une raison d'espérer (2000) et Quel renouveau socialiste ? (2003). Il combat les idées reçues sur l'économie et notamment la résignation du politique face à une économie que l'on juge trop souvent toute puissante et incontrôlable (Les Vraies lois de l'économie). En 2005, il fut parmi les tenants du "non" au référendum sur le traité constitutionnel européen. Il s'en est expliqué par l'ouvrage Sens et conséquences du "non" français.

Le présent essai présente les qualités classiques des ouvrages de Jacques Généreux : lisibilité et clarté du propos mais aussi une ambition forte pour rendre compte de notre situation actuelle en dévoilant les ressorts profonds de notre histoire tout en plaidant pour une méthode nouvelle, le "socialisme méthodologique".

La notion de dissociété définit notre situation actuelle où "tout le monde est sommé de se comporter en guerrier, en gagnant, pour échapper à l'exclusion et à la stigmatisation réservées aux moins performants". Cette société de concurrence généralisée, qui juxtapose "des individus rivaux et repliés sur eux-mêmes", ne marque pas seulement la victoire d'une conception libérale des rapports sociaux. Elle constitue une "mutation anthropologique" profonde ou chaque être se transforme en prédateur. C'est là le cœur de la démonstration de l'auteur. Par un long détour sur les origines intellectuelles de notre modernité, Jacques Généreux précise les points d'appui de l'idéologie qui nous gouverne. Or, ce socle de notre modernité (caractérisé par le productivisme et le consumérisme, la recherche constante du bonheur privé) ne se retrouve pas seulement dans la pensée libérale et néolibérale mais aussi dans la pensée marxiste ou dans les principaux courants socialistes. Sur ce dernier point, les propos que l'auteur tient sur Jaurès sont assez surprenants. Il en fait, en effet, un des penseurs qui ont établi l'arrimage définitif du courant socialiste au marxisme classique, au détriment d'une pensée des "premiers socialistes", jugée plus riche et féconde. Cette position est étonnante lorsque l'on sait les débats qui ont confronté Jaurès aux Guesdistes notamment.

Plus généralement, en présentant le néolibéralisme comme "l'enfant naturel de la pensée moderne", l'auteur laisse entendre qu'il nous faut rompre sensiblement avec cette pensée, et prône une pensée "néo-moderne". Dans son effort pour concevoir différemment des liens sociaux plus adéquats à la nature humaine, il fait peu de place aux développements théoriques du XIXe siècle. Cela peut être regretté si l'on tient que cette dissociété présente de fort nombreuses similitudes avec la société du XIX siècle analysée par la sociologie classique. Laquelle sociologie, de Comte à Weber en passant par Tocqueville et Durkheim, n'a cessé de s'interroger sur cette nouvelle société fondée sur des rapports fonctionnels et utilitaires entre les individus et constitue donc un fonds important pour rendre compte de notre situation actuelle (voir sur ce sujet, l'ouvrage de Christian Laval, L'Ambition sociologique).

Il reste que l'ouvrage de Jacques Généreux présente la qualité évidente de vouloir synthétiser de nombreux aspects de notre société contemporaine et qu'à travers de nombreuses références il nous aide à mieux la comprendre et la concevoir. De sorte qu'il y a là une véritable et utile contribution à un débat profond et nécessaire, que l'auteur appelle de ses vœux.

Guy Dreux
( Mis en ligne le 01/02/2008 )
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