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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Le Philosophe et ses pauvres
de Jacques Rancière
Flammarion - Champs 2010 /  10 €- 65.5  ffr. / 315 pages
ISBN : 978-2-08-123537-3
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne. Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Du philosophe roi au sociologue roi

Il faut saluer l'initiative des éditions Flammarion de rééditer en format de poche cet ouvrage important de Jacques Rancière, devenu introuvable. Publié en 1983, Le Philosophe et ses pauvres fait partie de ces ouvrages qui, comme l'a écrit dernièrement Geneviève Fraisse, apparaissent et disparaissent dans les listes "du même auteur". Il constitue pourtant une pièce maîtresse de l'œuvre de Jacques Rancière. Il est aujourd'hui enrichi d'une préface de l'auteur qui revient sur le contexte de sa première parution et l'intention initiale du livre.

A la suite de La Nuit des prolétaires, Jacques Rancière poursuit avec Le Philosophe et ses pauvres son interrogation : qu'est-ce qui autorise certains à parler et penser au nom des autres, pour les autres, et qui, dans la raison, tentent de définir ceux pour qui penser n'est pas l'affaire ? Confronté à la lourde idée selon laquelle "les dépossédés ne peuvent sortir par eux-mêmes de la dépossession", il avait auparavant opposé les archives ouvrières des années 1830 et leurs "chemins tordus de l'émancipation". Mais cette idée est tenace. Elle court tout au long de l'histoire de la philosophie, du noble philosophe grec aux organisations les plus récentes qui se donnent pour tâche d'émanciper les masses.

Si avec les progrès des Lumières le jeu des places et des capacités se dénaturalise et si les habitudes et l'éducation prennent peu à peu leur part dans l'explication et la justification des ordres, il n'en demeure pas moins que reste affirmée une même conviction : la pensée n'est pas l'affaire de tous. La sociologie, pour sa part, substituera au jeu de l'élection divine l'intériorisation des dispositions, tout en laissant, selon Jacques Rancière, la question en son état originel.

C'est pourquoi l'auteur considère qu'avec La Distinction (notamment), Pierre Bourdieu achève en quelque sorte le travail de Platon. Le philosophe avait donné de "bonnes" raisons de séparer les êtres et les capacités en célébrant la figure du philosophe roi à travers laquelle tout le monde pouvait et devait comprendre que la politique n'était justement pas l'affaire de tous. Le sociologue, donne, pour sa part, de "bons" exemples et de "bonnes" formes de l'expérience qui ne cessent de vérifier l'adéquation des êtres aux places qui leur sont assignées à travers les catégories de l'éthos et de l'habitus. Le cercle de la domination, en raison et en pratique, se referme.

L'ambition de Jacques Rancière, avec Le Philosophe et ses pauvres, était donc "de suivre les métamorphoses du geste philosophique qui sépare ceux qui sont voués au travail de ceux qui sont destinés à la pensée". Il reprochera alors à Pierre Bourdieu de n'avoir perçu dans l'esthétique de Kant qu'une illusion alors qu'elle contenait une dimension utopique en refusant "l'absolutisation de l'écart entre la "nature" populaire et la "culture" de l'élite".

Guy Dreux
( Mis en ligne le 09/03/2010 )
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