L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Vers une autre science économique (et donc un autre monde) ? - Revue du MAUSS n°30
de Collectif
La Découverte 2007 /  22 €- 144.1  ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-7071-5362-3
FORMAT : 13,5x22 cm

L’auteur du compte rendu : Diplômé en sciences politiques de la Woodrow Wilson School de Princeton (États-Unis), Timothy Carlson est rédacteur d'une e-lettre bihebdomadaire en langue anglaise sur la science et la politique de la science en France (www.france-science.org/fast). Il est également directeur d'un programme d'études pour étudiants étrangers. Il mène en parallèle une activité en communication, recherche et rédaction.

Contre l'orthodoxie

Le dernier numéro de la Revue du MAUSS présente une collection de travaux sur l'hétérodoxie économique, qui dans l'ensemble cherchent à doter cette non-école - si difficile à définir si ce n'est par "tout ce que vous vouliez savoir sur la vie économique que la science économique ne voulait pas vous dire" - d'une certaine cohésion et de lisibilité.

Les articles figurant dans la table de matières (bientôt disponibles en ligne) sont assez nombreux, mais on peut le comprendre. Le sujet est vaste et vaste aussi est le besoin de travaux tous azimuts pour redonner de l'ampleur et du souffle à l'analyse de notre vie matérielle ensemble, partout où l'économisme l'a réduite, l'a prédéterminée, l'a sur-quantifiée, ou l'a simplement ignorée. Militant contre l'OPA réductiviste que tente le néo-liberalisme économique sur la politique économique et plus largement sur les sciences sociales, le Mouvement Anti-Atilitariste dans les Sciences Sociales, et cette Revue, est bien outillé pour mener une telle résistance (dont plus en plus de voix réclament la nécessité) grâce à la diversité de ses membres et leurs instincts pluridisciplinaires et d'ouverture.

Pour tout lecteur avide de rencontrer des façons alternatives de penser l'économie, pour ceux qui considèrent que l'actuelle acceptation de la chose économique comme une machine qu'il suffit de régler en bon technocrate est à la fois trop large (ignorant le contexte social, les enjeux politiques,...) et trop réduite (au mépris de pans entiers de la vie matérielle des êtres humains), un tour guidé de cet ouvrage s'impose.

Comme point de départ, on ne peux mieux faire que l'essai de Nicolas Postel sur "Hétérodoxie et institution", qui vise à définir un "paradigme" hétérodoxe et ainsi jeter les bases communes d'un programme de recherche et de réflection. Sa première distinction est conceptuelle, entre une économie de pur échange dans un but d'utilité individuelle et une économie de production dont la base axiologique est le travail, et l'arène, la société. Postel, pour qui la conception d'une économie encastrée dans un contexte institutionnel et social est le meilleur socle pour tout mouvement qui cherche à contrer le modèle d'échange pur, propose son approche comme la bonne méthodologie institutionnaliste et rassembleuse des hétérodoxes. Ce regard anti-atomiste, qui se focalise sur l'interdépendance dans un cadre sociétal mouvant, parait sous la plume de Postel comme bien adapté pour répondre aux besoins actuels en politique économique vu l'écart grandissant entre l'ordonnance orthodoxe, mécaniste et sur-formalisée d'un côté et, de l'autre, le patient réel qui va mal. Il complète son apologie pour ce programme unificateur avec une analyse des théories de l'action. Plus d'un lecteur préfèrera sans doute avoir comme voisin de pallier l'acteur humaniste membre d'une société et doté de valeurs, qui est à la base de l'approche de Postel, que le maximisateur rationaliste des libéraux, dont le comportement est soit déterminé par les lois naturelles soit ligoté par un contrat hobbesien.

Ensuite, le lecteur pourrait tracer le périmètre hétérodoxe avec Pascal Combemale qui pose la question "L'hétérodoxie encore : continuer le combat mais lequel ?". Une façon d'introduire la notion d'"horizon", c'est à dire une vision du monde pour combattre la récupération des idées "contextuelles" par une orthodoxie plastique voire opportuniste, politique (malgré ses protestations), et suffisamment forte pour que le monde commence à ressembler à ses analyses. C'est un appel radical à un projet philosophique car, souligne l'auteur, le libéralisme économique en constitue un, et c'est la seule façon d'éviter que le programme hétérodoxe ne soit réduit à un verni de civilisation ajouté à la vision capitaliste dominante. De même, dans un regard sur "L'économie institutionnelle entre orthodoxie et hétérodoxie", Bernard Chavance élucide une distinction entre une institutionnalisme "nouveau" qui ressemble étrangement à l'orthodoxie est qui, comme par hasard, peine à sortir de l'ombre du "couplage du paradigme néo-classique et de la doctrine néo-libérale" et, en face, un renouveau de l'institutionnalisme traditionnel (à la Thorsten Veblen, par exemple) qui, dans sa position proche de la sociologie économique, se trouve bien placé pour porter une réponse à un nombre de dysfonctionnements économicistes actuels.

Comment identifier l'institutionnalisme "lite" ? Entre autres, ce serait celui qui dilue ses résultats dans un recours ostentatoire aux outils des techniciens tel que le benchmarking (des institutions justement) ou la détermination des "optima". Ceci dit, pour Chavance comme pour un bon nombre de ses coauteurs, la question n'est pas de savoir s'il faut quantifier ou pas, mais quand et dans quelle optique. Toujours dans ce souci de distinguer méthodologiquement l'approche hétérodoxe, François Fourquet, dans une "Lettre à un jeune doctorant : sur la causalité en économie", pousse son étudiant à écarter la "causalité mécanique et linéaire", bonne à étudier les boules de billard, et à adopter une "causalité subjective par imprégnation", mieux adaptée à l'étude des "entités sociales, vivantes, ouvertes au monde, poreuses, composées de quasi-sujets individuels ou collectifs, dirigées par des êtres humains branchés sur le vaste monde".

Si, après tout cela, le lecteur cherche à adhérer, il n'y a plus qu'à consulter le "quasi-manifeste institutionnaliste" d'Alain Caillé, un effort de doter cette nébuleuse de critiques du statu quo d'une certaine unité et donc de visibilité. Notons en passant le curieux manque de références aux institutionnalistes américains, anglais et scandinaves, ainsi qu'au Journal of Economic Issues...)

Plus loin, en continuant de parcourir les chapitres de ce numéro, le lecteur trouvera des papiers de solide facture sur Marcel Mauss et son fameux don (étiré ici pour montrer que pour un prix comme pour une vérité, il faut deux personnes) ; l'intelligente critique par Jacques Sapir des modèles dominants tel que l'équilibre général compétitif ("mythes de l'économie vulgaire") ; ou le philosophe italien Francesco Fistetti sur la justice sociale.

Bref, le tout constitue une contribution importante à un débat incontournable.

Timothy Carlson
( Mis en ligne le 25/01/2008 )
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