L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

L'Homme est l'avenir de la femme - Autopsie du féminisme contemporain
de Natacha Polony
JC Lattès 2008 /  16.50 €- 108.08  ffr. / 247 pages
ISBN : 978-2-7096-2817-4
FORMAT : 13,0cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

La femme qui aimait les hommes

Avec un tel titre délicieusement provocateur, Natacha Polony ne va pas se faire des «copines». Ni même des «copains». Agrégée de Lettres, enseignant la littérature, auteur de Nos enfants gâchés, petit traité sur la fracture générationnelle (Lattès, 2005) et M(me) le président, si vous osiez... : 15 mesures pour sauver l'école (Mille et Une nuits, 2007), elle propose un nouvel essai qui ose s’interroger et parfois s'en prendre à tout un tas de clichés contemporains dans lesquels s'est engouffrée la civilisation occidentale pour une grande partie.

Il est vrai que, ces dernières années, toute une idéologie anti-masculine (l'homme ne peut être que sexiste, brutal, macho et il est blanc, occidental, et de droite alors que la femme est un être délicat, raffiné et subtil, sans arrêt victime des hommes) a vu le jour avec une virulence qui ne laissait guère de place aux opinions contradictoires. Il est difficile d'émettre des idées différentes sans être rattrapé par la robe moralisatrice des Chiennes de garde, les insultes des unes ou des uns. Certain(e)s pensent même que Les Femmes savantes de Molière est une horrible pièce machiste ! Le climat est détestable.

Natacha Polony tente de remettre les pendules à l'heure. Elle s'en prend vigoureusement à cette diabolisation de l'homme, à cet acharnement judiciaire, à l'indifférenciation sexuelle pour soi. Elle ne nie nullement que les femmes aient été soumises, maltraitées, humiliées (et le sont encore) et il était nécessaire qu'elles soient respectées, à la condition cependant que leurs revendications ne se transforment pas en volonté de puissance déguisée comme l’auteur le subodore. Toujours victimes et cependant parvenant, figures héroïques, à s'incruster dans les rouages du pouvoir pour être aussi intransigeantes. A cet égard, elle critique Sylviane Agacinski, inspiratrice du féminisme des années 1990, philosophe de la gauche sociétale jospinienne qui explique dans Politique des sexes que la femme serait, par essence, tolérante puisque, par la maternité, elle accueille l'Autre en elle ! Ce genre de discours biologise la femme, l'enferme dans un déterminisme terrifiant et la renvoie à une essence naturelle idyllique ; il faudrait se demander si de l'autre côté, il n'en est pas de même de l'homme. Il y a là un tel cliché que l'on s'étonne de cette supériorité donnée à la femme, supériorité qui fait hurler quand elle est donnée à l'homme. Personne ne crie au sexisme ! «Les «valeurs féminines» mises en avant ne sont que la reconstruction positive des vieux clichés», écrit l'auteur.

Natacha Polony s'en prend aussi à la femme-victime qui sert d'alibi pour une destruction des bases sexuées de nos sociétés et des valeurs qui les structuraient. Elle cite la juriste Marcela Iacub qui rappelait que l'étude sur les violences conjugales reposait sur un questionnaire contestable puisqu'il assimilait sous le même vocable de «violences» des coups et blessures physiques et des agressions psychologiques allant jusqu'au sentiment de dénigrement systématique, concernant la coiffure ou les vêtements. Certes, ce féminisme victimaire découle d'une forme de féminisme qui, en Amérique du Nord, a engendré le politiquement correct et les contrats signés entre étudiants pour déterminer au préalable jusqu'où chacun est disposé à aller !

Sur sa lancée, l'auteur critique vertement les Queer theories et cette optique culturaliste par laquelle la différenciation sexuée ne serait qu'une construction culturelle que la société impose à l'enfant dès sa naissance pour reproduire la domination masculine ! Sans compter que cela torpille la parité ! Pour cela, les universitaires américaines, dans la lignée de John Money en 1955, ont inventé un concept : le genre, qui précède le sexe ! Or, la différence des sexes est d'abord physique, n'en déplaise à ceux qui nient la réalité. Pour l'auteur, cela revient à plonger l'humanité dans une fiction totalement destructrice et mortifère. Autrement dit, le genre est une contrainte et non un fait ; il est un instrument de pouvoir. "La question n'est pas, pour les queer studies, de modifier l'idée qu'on se fait d'un garçon et d'une fille, mais de criminaliser la pensée de la différenciation. Pour accepter la différence, nions-la» (p.57). L'attaque est rude.

En règle générale, il y a là une volonté de criminaliser la sexualité masculine, notamment dans la bataille des mots (auteur revendiquée avec un "e" met plus l'accent sur le sexe féminin de l'auteur que sur sa qualité d'auteur, genre neutre dans la langue française) ou en féminisant les titres, autre façon de marquer la différence des sexes ! Et puis le désir que chacun construit procède d'un rapport à l'autre sexe qui n'est pas forcément égalitaire. Notre système juridique va vers l'éviction du père et de la lignée paternelle par le libre choix du nom et le recentrage sur la relation mère-enfant comme noyau de la famille, organisant la toute-puissance des femmes sur la procréation où les hommes n'ont pas leur mot à dire. La femme a seule le droit de décider d'avorter et peut priver un homme de paternité. A l'inverse, elle peut l'obliger à accepter une paternité qu'il n'a pas souhaitée, et dont il n'avait même pas connaissance. "L'inégalité en matière de procréation n'est plus celle que l'on croit. Nous sommes entrés dans l'ère de l'homme-objet, l'homme-fournisseur de gamètes», écrit Polony. Le triomphe de la maternité et l'éviction des pères ne sont que des facettes de cette destruction systématique de toute structuration politique et sociale de l'Homme, d'atomisation de la personne par le culte de la performance et du profit. Chose qu'avait bien comprise Fellini dans La Cité des femmes par exemple.

La pensée féministe est devenue incapable de penser la différenciation sexuée et l'émancipation des individus autrement que dans un égalitarisme de l'indifférenciation. L'auteur revient sur les évolutions scientifiques qui ont changé la donne : les femmes maîtrisent la procréation et se retrouvent enfermées au sein d'un système de maternage commercial. Car qu'est-ce qui se joue dans le désir d'enfant ? Les femmes sont-elles plus libres du fait qu'elles peuvent maîtriser leur corps et qu'elles usent de ce pouvoir comme elles le font ? Or, l'enfant devient un bien de consommation, au sens où il fera l'objet d'une évaluation et devra répondre aux attentes. Au fond, les traditions patriarcales et les carcans moraux ont été plus sûrement éradiqués par le capitalisme que par le discours féministe. Le néolibéralisme a bien compris qu'il fallait formater les jeunes filles à travers le spectacle et la consommation puis de l'étendre aux garçons, invités à partager les comportements de leurs soeurs, à plonger avec délectation dans l’égotiste contemporain.

«Les femmes — et voilà l'escroquerie — sont embrigadées, pour beaucoup consentantes et convaincues, dans une entreprise de contrôle des citoyens par un système totalisant fait de toute-puissance technologique et d'idéologie consumériste. Et pour sortir de l'enfermement qui était le leur dans les sociétés patriarcales, elles applaudissent à un nouvel enfermement, il est vrai beaucoup plus imperceptible et doux, puisqu'il donne l'illusion de la liberté. La vulgate psychologisante qui s'immisce dans toute forme de relation humaine, privée ou publique, pour rendre supportable la déshumanisation technologique et dicter à chacun la norme du bien-être et du bien-vivre, et le dogme de l'épanouissement personnel conçu comme le culte du plaisir nombriliste, sont les armes de destruction massive dont les femmes ont pu croire sincèrement qu'elles allaient les débarrasser de l'omnipotence patriarcale." (pp.31-32)

Toute cette évolution technique mène notamment à l'ectogénèse, la gestation en dehors du corps de la femme qui s'accompagnera d'un développement du clonage reproductif. Qu'est-ce qui empêchera des femmes, au nom du droit à disposer de leur corps, de remplacer la gestation naturelle par l'usage d'un utérus artificiel ? La contraception et l'avortement ont montré que l'émancipation a conduit les femmes à réclamer un accès aux avancées de la science. Sauf que cela remet en question la notion même d'humanité. Un rêve ? Stade ultime de la marche vers l'égalité ? Un homme et une femme ne feront plus un autre être humain et la complémentarité ainsi que la différence des sexes en prendront un vilain coup. Pourquoi vouloir un fils plutôt qu'une fille ? Quelle répartition des sexes sur la planète quand ils ne seront plus équilibrés par la nature ? L'ectogénèse ne sera qu'un moyen pour les femmes de compenser les inégalités sociales et professionnelles (grossesses) et pour les hommes de compenser cette frustration qui habite certains d'entre eux depuis la genèse. La normalisation des corps implique toujours la normalisation des esprits. Cette volonté de déstabilisation de tout ce que pouvait incarner les hommes est non seulement une défaite pour les femmes mais une défaite d'une certaine idée de l'Homme qui se dissout dans l'indifférenciation et l'uniformisation des sexes, des cultures et des personnalités.

Pour finir, l'auteur célèbre la dualité de l'espèce humaine. Étrange alors que Natacha Polony s’en prenne au petit essai d'Eric Zemmour (Le Premier sexe) accusé à tort d'être machiste quand il critiquait plus cette féminisation de la société. De nombreux passages du livre de Polony pourraient être repris par Eric Zemmour lui-même. Encore plus quand elle fait un bel "éloge de la virilité" et rend hommage à Philippe Muray. Si le livre de Natacha Polony est passionnant, bien écrit et tonique, il demeure au moins une question en suspend quand elle revendique un humanisme féministe : pourquoi être spécifiquement féministe quand on est universellement humaniste ?

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 25/02/2008 )
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