L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

Historiographies - Concepts et débats - 2 volumes
de Christian Delacroix , Patrick Garcia , François Dosse , Nicolas Offenstadt et Collectif
Gallimard - Folio histoire 2010 / 
FORMAT : 11cm x 18cm

- Tome 1, Juillet 2010, 646 p., 10.20 €, ISBN : 978-2-07-043927-0

- Tome 2, Juillet 2010, 1330 p., 10.20 €, ISBN : 978-2-07-043928-7


L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).


Défense et illustration de l’Histoire…

Quatre spécialistes reconnus de l’historiographie ont dirigé et coordonné ces deux volumes qui rassemblent 76 contributeurs (80 avec les coordonnateurs donc). Trois parties : ''Sources, domaines, méthodes'', ''Notions, concepts'' et ''Enjeux et débats''. Une préface rédigée par les maîtres d’œuvre en explique l’objectif : «(…) répondre au besoin de faire le point sur l’histoire comme discipline qui produit des connaissances, mais aussi à celui de mettre en perspective les usages contemporains du passé» (p.13). Dictionnaire épais qui rassemble plusieurs générations d’historiens : les plus âgés, nés dans les années trente et formés dans les années 50 (Antoine Prost, Hayden White, Robert Paxton, Philippe Joutard…), la génération des sexagénaires, formée à la fin des années 60 (Pascal Ory, François Dosse), et les plus jeunes, nés dans les années 1970 et formés dans les années 1990 (Nicolas Offenstadt, Raphaëlle Branche, Blaise Wilfert…). Trois générations, formées de façons différentes, dans l’ombre portée des Annales pour les premiers, de la «nouvelle Histoire» et des débats posés hors de l’espace français (micro storia, linguistic turn, gender, subaltern studies…) pour les autres ; trois générations qui partagent un même goût pour la discipline et ses exigences.

Chaque auteur, à sa façon, affirme sa personnalité, propose une interprétation engagée, témoigne de la variété des champs d’intérêt - certains peuvent dire d’une fragmentation - de la discipline historique. Ligne de force : la réflexion historiographique, qui longtemps n’a pas fait l’objet premier de la réflexion des historiens français (à la différence des Allemands par exemple), et qui s’impose en France depuis environ le début des années 1970, et plus particulièrement les années 1980.

Règle du genre : en lisant ces deux ouvrages denses, on pense à ce qu’on aurait aimé lire en plus, davantage d’ouvertures sur l’histoire écrite ailleurs (certes, des historiens étrangers ont participé : Enrico Castelli Gattinara, Hans-Jürgen Lüsebrink, A. Mendiola, E.D. Weitz...) alors qu’indéniablement les historiens français sont insérés dans un ensemble mondial dans lequel leur part n’a cessé pour de multiples raisons de décliner depuis une trentaine d’années. A comparer avec la vitalité de l’école nord-américaine par exemple, présente dans ces volumes avec les contributions d’Hayden White (une première, en français, d’un historien toujours cité mais jamais traduit…) et de R.O. Paxton.

Mais pour l’essentiel, il s’agit d’un ouvrage «français». L’histoire écrite en France aujourd’hui est sans doute à un tournant, pour différentes raisons : arrivée d’une nouvelle génération d’historiens – nombreux - formés dans les années 1990 ; poids considérable - pour ne pas dire sur-représentation - de l’histoire contemporaine (pour des raisons qui là aussi tiennent à différents facteurs : générations formées scolairement dans l’ignorance des langues anciennes, type de sources, intérêt pour une histoire «immédiate», du temps présent, rencontres fertiles entre sociologie et histoire…) ; peut-être aussi une certaine lassitude à l’égard d’une histoire culturelle qui - sous ses différentes formes - a fortement (trop ?) marqué l’écriture et la réflexion historiques ; renouveaux de l’histoire politique ; ouverture sur des horizons internationaux…

Reste la question, pertinente, de la place des historiens français dans la communauté internationale, place dont on ne peut que constater le déclin, même si les derniers ouvrages parus tentent de le nier ou de le minimiser ; c’est le cas par exemple du recueil dirigé par J.-F. Sirinelli, Pascal Cauchy et Claude Gauvard, Les Historiens français à l'œuvre. 1995-2010 (PUF, 2010). Un déclin indéniable pourtant, que l’on a pu constater aussi à l’occasion du 21ème congrès international des sciences historiques, qui s’est tenu à Amsterdam les 22-28 août 2010.

Un dictionnaire de ce type, aussi riche, comble de nombreuses attentes ; on suggérerait quelques rubriques supplémentaires, quelques entrées biographiques sur des historiens (et des philosophes) qui ont compté par exemple… Mais ce ne sont que réserves légères par rapport à l’intérêt de l’entreprise : la première partie dresse un état des lieux fort complet de la discipline, de ses champs et de ses renouvellements ; la troisième fournit des exemples précis, des «études de cas» qui font le point de façon efficace et rapide sur l’état de questions aussi diverses que la Grande guerre, la Guerre d’Algérie, Vichy ou la Révolution française, avec la volonté d’ouvrir les frontières sur le Japon, la conquête du Mexique ou les «nouveaux historiens» israéliens, de remonter le temps (An mil et féodalisme, Économie de la Grèce antique ou Antiquité tardive…). En s’attachant aux ''Notions, Concepts'', la seconde partie se place d’emblée dans un domaine davantage abstrait (parfois avec des notices d’accès… difficile pour ne pas dire jargonnantes), reparcourt les «fondamentaux (anachronismes, période et périodisation, objectivité, temps, vérité…) et fait apparaître des préoccupations récentes (mémoire collective, opinion publique…).

Un livre à conseiller absolument à tous les étudiants en histoire, mais au-delà à tout public curieux des lectures (et relectures) récentes de l’Histoire et du passé, curieux de comprendre comment s’écrit - et s’est écrite – l’Histoire : quels sont les sujets qui ont intéressé les historiens et pourquoi ; comment des regards ont changé, quels chantiers neufs ont été ouverts, et plus particulièrement celui, fondamental, de l’historiographie. Un instrument de travail d’autant plus utile que chaque notice est suivie de corrélats et d’une bibliographie ; en fin de volume : un index.

Un état des lieux d’une discipline qui vient de beaucoup évoluer, en particulier dans les doutes et les questions sur elle-même, sur ses usages, alors que le grand public se pose d’autres questions autour des retours en force des mémoires et du rôle social de l’historien (auquel Olivier Lévy-Dumoulin consacre une rubrique). Les historiens s’inquiètent aussi - mais là, la préoccupation n’est pas neuve ! - de la concurrence de ce que les auteurs nomment la «consommation», les usages populaires de l’histoire dans une société qui aime visiter des sites reconstitués et autres jeux : l’histoire comme si vous y étiez ! Entre commémorations et mise en valeur du patrimoine...

La lecture de ces deux volumes denses conduit donc à défendre une nouvelle fois le rôle et la place de l’histoire et de l’historien dans la société à l’heure où l’enseignement de l’histoire disparaît des terminales scientifiques…

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 22/12/2010 )
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