L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

Sociologie des intellectuels
de Gérard Leclerc
PUF - "Que sais-je ?" 2003 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 127 pages
ISBN : 2-13-053631-X
FORMAT : 11x18 cm

L'auteur du compte rendu : chercheur au Centre d'Histoire de l'Europe du Vingtième Siècle (Sciences-Po, Paris), spécialiste de Walter Benjamin, Nathalie Raoux s'intéresse plus largement à l'histoire des intellectuels français et allemands au XXe siècle. Elle vient de traduire Allemands en exil. Paris 1933-1941 (Autrement, 2003).


Les intellectuels à la question

Force est de constater que si, depuis vingt ans, l’on s’interroge de toutes parts sur «la fin des intellectuels», l’intérêt qu’ils suscitent, lui, ne se dément pas. D’autres l’ont déjà dit ici : l’histoire des intellectuels n’en est plus à ses balbutiements. Il suffirait de se reporter au récent ouvrage de François Dosse, La marche des intellectuels (Editions La Découverte, 2003) ou au vaste état des lieux de la recherche que nous ont livré, il y a quelques mois à peine, Michel Leymarie et Jean-François Sirinelli (L’histoire des intellectuels aujourd’hui, PUF, 2003) pour s’en persuader.

Mais l’étude des intellectuels n’appartient pas en propre aux seuls historiens, loin s’en faut, et les sociologues se sont, eux aussi, emparés avec bonheur de cet objet, depuis que Pierre Bourdieu a jeté les bases d’une sociologie des intellectuels, tentant de circonscrire et d’appréhender un «champ intellectuel» en relation avec d’autres champs. Depuis, et dans son sillage, d’autres ont enrichi nos connaissance sur les intellectuels - on pense, en particulier, aux travaux de Gisèle Sapiro (cf. La guerre des écrivains 1940-1953, Fayard, 1999).

C’est aujourd’hui Gérard Leclerc qui s’aventure, non sans précautions, dans une entreprise qu’il avoue d’emblée «semée d’embûches», non seulement parce qu’elle doit relever un pari «transdisciplinaire» et s’appuyer sur les travaux de différentes branches de la sociologique (sociologue politique, sociologie des médias, sociologie de la science, etc.) mais aussi, de façon plus essentielle, parce qu’elle s’attaque à un objet qui, fondamentalement, semble se dérober à elle : «les» intellectuels. Etrange objet, en effet, pour le sociologue parti à la recherche d’invariants et habitué à manier les grands nombres, que ces intellectuels qui ne forment guère un groupe social et encore moins une classe, et qui, producteurs de discours pro domo par excellence, ne se prêtent, en outre, qu’avec difficulté à l’analyse statistique. Qui sont donc ces intellectuels, figures on ne peut plus visibles dans la société française depuis qu’ils y ont fait leur entrée tonitruante avec l’Affaire Dreyfus ? Quelle est leur origine historique mais aussi leur origine sociale ? Quelle est leur fonction, quel rôle social exercent-ils ?

Telles sont donc les questions auxquelles Gérard Leclerc répond, avec finesse et en sociologue. Mais aussi, en puisant abondamment à la source historique – ce qui ne l’empêche pas d’avoir parfois la plume acerbe pour bon nombre de ses collègues historiens, accusés de se dispenser d’une «conceptualisation, même minimale» du statut et de la fonction des intellectuels, de ne prêter attention qu’aux «grands noms» pour finir par produire, non pas une histoire des intellectuels mais «une histoire intellectuelle, voire une histoire politique »

Il est, à notre sens, quelque peu vain, d’opposer, dans des généralisations abusives, historiens et sociologues. Retenons donc de ces remarques «polémiques», et de l’ouvrage de Gérard Leclerc qui le prouve presque à chaque page, que le pari qu’ont à relever ceux qui, historiens, sociologues, spécialistes de la littérature, s’intéressent à cet objet complexe que sont «les intellectuels» n’est pas seulement intra- mais interdisciplinaire…

Nathalie Raoux
( Mis en ligne le 08/10/2003 )
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