L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

Comment se fait l'histoire - Pratiques et enjeux
de Yves Santamaria , François Cadiou , Clarisse Coulomb et Anne Lemonde
La Découverte - Guides Repères 2005 /  19 €- 124.45  ffr. / 384 pages
ISBN : 2-7071-4579-3
FORMAT : 13x22 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.

La fabrique de l'histoire

En quatrième de couverture, ce nouveau manuel d’épistémologie de l’histoire affiche clairement ses ambitions : mettre à distance critique la science historique, prendre un «recul nécessaire face aux pressions politiques et sociétales qui cherchent à instrumentaliser l’histoire». Le projet est vaste et s’adresse à des publics variés, de l’étudiant d’histoire confronté à un enseignement d’historiographie au candidat au CAPES qui doit se préparer à l’«épreuve sur dossier», en passant par l’étudiant de Sciences-po, de khâgne, et même le jeune certifié face à sa classe de ZEP ! L’un des intérêts de l’ouvrage (et son originalité) est d’être écrit à quatre mains, par un spécialiste de chaque période (antique, médiévale, moderne, contemporaine) – mais l’on pourra regretter que les auteurs ne s’interrogent guère sur cette partition très figée de l’histoire universitaire.

Comment se fait l’histoire ?, titre qui se veut un double hommage à deux productions majeures de l’historiographie française (Le Goff et Nora, Faire de l’Histoire, 1974 et Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971), est donc d’abord un manuel classique d’historiographie. On y retrouve l’histoire du genre, puis de la science et de la discipline historique, d’Hérodote à l’Ecole des Annales. La première partie est ainsi une synthèse efficace de cette «histoire de l’histoire». On notera surtout une sous-partie particulièrement intéressante sur l’historiographie gréco-romaine. Dans la IIIe partie, les auteurs reviennent sur ces aspects mais en les abordant de façon plus originale et plus stimulante, en réfléchissant à la temporalisation de l’histoire et à la notion de temps. On trouvera également une présentation attendue mais claire de l’histoire de la biographie et des gender studies.

L’ouvrage se propose ensuite d’entrer un peu plus dans la «fabrique de l’histoire», en abordant la question des sources. Un long chapitre présente, là encore de façon claire et synthétique, les différentes sources dont disposent les historiens. Tout en livrant une histoire de la constitution des archives au fil des siècles, l’ouvrage soulève quelques-unes des difficultés que rencontrent les chercheurs, l’antiquisant face au manque de sources, le contemporanéiste face à l’abondance, mais aussi face aux difficultés de communication des documents d’archives.

C’est dans son dernier projet que l’ouvrage entre, en quelque sorte, en terrain glissant. Il s’agit d’aborder différents «débats» dans lesquels l’Histoire, ses historiens, professeurs et chercheurs, se trouvent directement confrontés à la demande sociale et politique. Comment enseigner le fait religieux ? (sous entendu à des classes d’élèves musulmans, mais ce n’est pas dit clairement !). Comment enseigner la nation, l’Europe, le racisme, les droits de l’homme, l’extermination des juifs d’Europe ? (même sous entendu inassumé). Les auteurs veulent aborder ces aspects de façon neutre, dépolitisée, dépassionnée et avant tout en historiens. Ils nous livrent alors des exemples – clefs en mains ! - de cours d’histoire sur les droits de l’homme, sur les religions, sur le sentiment national. Ce qui peut surprendre dans un manuel d’épistémologie.

C’est lorsqu’ils sortent de cette position – confortable – du savoir et de la mise à distance historique, que leur propos est plus confus. Parce qu’ils n’assument pas clairement les sous-entendus de leur discours, et que ce faisant ils ne les discutent pas et les présentent comme admis quand cela ne va pas du tout de soit – à savoir : comment faire classe à des élèves d’origine immigrée que l’on soupçonne sans l’avouer d’islamisme et d’antisémitisme ! Les auteurs semblent dominés par le désir du consensuel, du politiquement correct, au point de ne jamais s’engager dans ces débats qui demandent, justement, qu’on s'y s’engage, quitte à déplaire.

Le chapitre sur les programmes de l’enseignement primaire et secondaire est ainsi surprenant. On sent une charge critique puissante, mais bridée. Les auteurs énumèrent sur un ton ironique le contenu (franco centré et déséquilibré en faveur des quarante dernières années) des programmes, mais sans préciser vraiment les raisons de leurs critiques, ni les améliorations qui proposent. Souvent l’on tique à la lecture de certains paragraphes (sur le voile, sur les droits sociaux de 1793) en se demandant ce qu'il veulent vraiment dire et faire comprendre. Ces positions prudentes, timides soulèvent plus d’interrogations qu’elles n’en résolvent.

Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 01/09/2005 )
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