L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

La Culture comme aventure - Treize exercices d'histoire culturelle
de Pascal Ory
Complexe 2008 /  21 €- 137.55  ffr. / 299 pages
ISBN : 978-2-8048-0146-5

L’auteur du compte rendu : Philippe Poirrier est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne. Il a notamment publié Aborder l’histoire (Seuil, 2000), Les Enjeux de l’histoire culturelle (Seuil, 2004), et termine l’édition d’un ouvrage collectif : L’Histoire culturelle : un «tournant mondial» dans l’historiographie ? (Éditions universitaires de Dijon, novembre 2008).

Histoire culturelle : la preuve en actes

Pascal Ory est l’un des contemporanéistes, avec Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (1), qui s’est le plus illustré dans la pratique et la construction de l’histoire culturelle. Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne, élève de René Rémond, marqué lors sa formation initiale par les enseignements de François Lebrun et de Jean Delumeau (à qui ce recueil est dédié), il est l’auteur d’une trentaine de livres à la charnière de l’histoire politique et de l’histoire culturelle. Son «Que-Sais-je ?» sur L’Histoire culturelle (n°3713), publié en 2004 et réédité en 2007, témoignait déjà de son intérêt pour les approches épistémologiques, et pouvait se lire comme une reconnaissance de cette forme d’histoire.

Ce recueil propose au lecteur une sélection de treize textes (dont deux inédits) publiés entre 1982 et 2007. Un classement thématique les range sous trois rubriques : «Des objets» (Le musée, la bande dessinée, les politiques symboliques, les politiques de la fête, la gastronomie) ; «Des méthodes» (l’analyse de contenu, l’histoire de la mémoire culturelle, l’analyse comparée) et «Des débats» (histoire culturelle versus histoire sociale ; histoire culturelle versus histoire littéraire ; histoire culturelle versus histoire économique ; histoire culturelle versus histoire de l’art). Chaque texte est précédé d’un court paragraphe qui souligne l’objectif recherché par l’auteur. Un brillant essai sur l’histoire de l’histoire culturelle, déjà publié dans L’Histoire culturelle du contemporain (2004), ouvre ce recueil, et propose une généalogie de l’histoire culturelle qui accorde une grande attention aux transferts culturels de part et d’autre de l’Atlantique.

Une introduction permet à Pascal Ory de défendre l’histoire culturelle qu’il appelle de ses vœux et qu’il pratique. Cette histoire culturelle, conçue comme une histoire sociale des représentations, n’est pas seulement une mode historiographique. Dès lors, cette histoire n’est en rien déconnectée du social. Elle intègre le déterminisme par le milieu et analyse le fonctionnement de la société culturelle (producteurs et médiateurs). Elle n’est pas non plus indifférente aux questions formelles, chères aux historiens des arts, mais en contextualise les modalités de production et la construction des hiérarchies. Le fonctionnement culturel est appréhendé comme «un circuit au sein duquel interagissent et, pour commencer, se superposent en partie production, médiation et réception, la seconde instance devient centrale».

Plusieurs textes du recueil placent au centre de l’analyse la «mémoire culturelle», c’est-à-dire l’acculturation temporelle indispensable à toute culture. Comment le processus de respectabilisation fonctionne-t-il dans les domaines littéraires («Le temps où les surréalistes eurent raison»), intellectuels («Peut-on expliquer un succès ? Sartre comme cas d’école») ou artistiques («‘Comme si de rien ne fut’ ou la gloire des pompiers»). Pascal Ory, qui considère cette histoire culturelle comme une science sociale, récuse tout jugement de valeur, et écarte à ce titre les logiques des Cultural studies anglo-saxonnes, qui certes ont permis dès les années 1960 une large ouverture thématique en un temps où la frilosité de l’université française était proverbiale, mais pratiquent le jugement moral. Ce plaidoyer se termine par une incitation à porter l’analyse vers le comparatif et les processus d’acculturation.

Une bibliographie personnelle, classée par thèmes, complète le volume. Elle permet de vérifier la grande curiosité de l’auteur, et de prendre la mesure d’une production scientifique qui se déploie, avec continuité, sur trois décennies. Signalons que Pascal Ory vient également de publier, chez le même éditeur, un ouvrage intitulé L’Invention du bronzage. Essai d’histoire culturelle. Un nouvel exercice qui touche à un front pionnier de la recherche : une histoire culturelle du corps.

Le grand mérite de ce recueil, au-delà de la trajectoire d’un chercheur, est de conforter l’histoire culturelle, non pas sous la forme d’une approche théorique, mais en prouvant en actes une histoire en train de s’écrire. Aussi ce recueil n’affiche pas une volonté d’impérialisme thématique ou méthodologique, mais invite le lecteur, à travers des études de cas variées, à saisir une forme d’histoire ouverte, sensible à la liberté des sujets, sans ignorer le poids des contraintes sociales et culturelles.

(1) Sur l’itinéraire de ce dernier, voir notre texte en ligne : Philippe Poirrier, «L'histoire culturelle en France. Retour sur trois itinéraires : Alain Corbin, Roger Chartier et Jean-François Sirinelli», Cahiers d’histoire. La revue du département d’histoire de l’Université de Montréal, hiver 2007, n° 2, pp. 49-59.

Philippe Poirrier
( Mis en ligne le 02/07/2008 )
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