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Le Bris des routines
de Marguerite Yourcenar
La Quinzaine littéraire Louis Vuitton 2009 /  26 €- 170.3  ffr. / 322 pages
ISBN : 978-2-910491-24-6
FORMAT : 15cm x 22cm

Textes choisis et présentés par Michèle Goslar.

Les yeux ouverts

Aujourd’hui où l’égalité des sexes est une réalité, au moins dans l’ordre juridique, il est difficile de se représenter ce que fut Marguerite Yourcenar pour beaucoup de Françaises qui ont vécu dans les trois premiers quarts du XXe siècle. Née en 1903, morte en 1987, elle a été la première femme reconnue de son vivant comme «grand écrivain», avant même sa réception à l’Académie française, en 1981. Avant Yourcenar, les manuels de littérature reconnaissaient quelques plumes féminines, mais jamais sans réticence : Mme de Sévigné, illustrant le genre épistolaire, genre mineur ; Mme de Staël, intrigante et bas-bleu, auteur de romans réputés illisibles ; George Sand, que sa fécondité excessive avait rendu suspecte ; Colette, autour de laquelle flotte un parfum de légèreté. Avec les Mémoires d’Hadrien (1951), Marguerite Yourcenar s’imposa au contraire dans le genre désormais devenu le plus noble, le roman, servi par une écriture classique et volontiers majestueuse.

La médaille a son revers. L’Antiquité des Mémoires d’Hadrien ou la Renaissance de L’Oeuvre au noir se ressentent d’une froideur quelque peu archéologique. Avec les années, ils sentent toujours davantage le «1930». L’autoportrait d’Hadrien, on l’a souvent dit, c’est celui de Yourcenar, qui pose, déjà drapée dans un voile de statuaire, pour la postérité. Heureusement, le présent recueil en témoigne, l’auteur d’Alexis ou le vain combat n’est pas d’un bloc. Enfant de la bourgeoisie triomphante sous Loubet et Fallières, elle meurt huit décennies plus tard, assez longtemps pour avoir connu à la fois la «libération sexuelle» et le début des «années SIDA». Autant les œuvres de jeunesse et de la première maturité, d’inspiration «hellénique», peuvent paraître datées, autant les volumes du grand âge (Souvenirs pieux, Archives du Nord, Quoi ? L’Éternité) touchent encore le lecteur du XXIe siècle, parce que plus personnels, tout en témoignant de qualités de style inaltérées.

On retrouvera tout cela dans Le Bris des routines, luxueux recueil d’extraits tirés des romans, des essais, de la correspondance et des notes personnelles de Marguerite Yourcenar. Il s’agit de morceaux en rapport avec les voyages, distribués dans un ordre géographique (Europe, Amérique, Afrique, Asie), dont certains sont publiés pour la première fois. Quelques textes jusqu’ici inédits valent le détour, comme celui sur Paris vers 1968, où l’auteur trouve la preuve «du peu que pensent ceux qui pensent, de la légèreté d’esprit et des routines d’esprit commodes presque chez chacun».

Il n’est pas sûr, pour autant, que Yourcenar puisse être rangée dans la catégorie des «écrivains voyageurs». Dans ses voyages, ce qu’elle observe, c’est elle-même ; ce qu’elle recherche, c’est la connaissance de soi, pour entrer dans la mort, comme dit l’empereur Hadrien, «les yeux ouverts».

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 12/06/2009 )
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