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Devenir dieux : désir de puissance et rêve d’éternité chez les Anciens
de Carlos Lévy
Les Belles Lettres - Signets 2010 /  13 €- 85.15  ffr. / 198 pages
ISBN : 978-2-251-03013-5
FORMAT : 11cm x 17,9cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Devenir dieux : désir de puissance et rêve d’éternité chez les Anciens

Si aucun des tyrans du XXe siècle n’a osé se proclamer dieu, ce ne fut pas le cas de certains dirigeants dans l’Antiquité gréco-romaine, qui a connu le culte des souverains hellénistiques et la divinisation des empereurs romains après leur mort. Il faut dire qu’il n’y avait pas une solution de continuité absolue entre l’homme et les dieux dans le polythéisme antique, où une multitude de héros, démons, génies, nymphes et demi-dieux occupaient une position intermédiaire entre les deux statuts.

Carlos Lévy, professeur de philosophie et littérature romaines à l’Université Paris IV – Sorbonne, vient de consacrer la dernière anthologie de textes de la collection ''Signets'' des Belles Lettres à cette question du désir de puissance et du rêve d’éternité chez les anciens Grecs et Romains. Le recueil est précédé d’un entretien avec John Scheid, professeur au Collège de France, l’un des plus grands spécialistes actuels de la religion romaine, dont il a renouvelé en profondeur l’étude.

La première partie est consacrée au monde des dieux et au monde des hommes chez Homère et Hésiode. La Théogonie raconte ainsi la naissance des dieux, issus de réalités cosmiques qui sont aussi les premières générations de divinités (la Terre, la Nuit, le Ciel, le Flot Marin…). Elle ne traite pas de la naissance des hommes, mais plutôt de leur séparation d’avec les dieux, à travers le mythe de Prométhée corrélé à celui de Pandore, la première femme, ou plutôt la première mariée. Chez Homère comme chez Hésiode, les dieux, demi-dieux, démons, héros et simples humains se côtoient sans que, pour autant, cette promiscuité aboutisse à la confusion. La condition humaine peut parfois se rapprocher de celle des Olympiens jusqu’à rendre la distance minuscule, mais elle ne s’identifie jamais totalement à elle. Des hommes peuvent passer à un statut supérieur, comme Ménélas qui devra à sa qualité de gendre de Zeus de ne pas mourir mais d’être emmené aux Champs Elysées. Ulysse aurait pu devenir immortel et rester éternellement jeune auprès de Calypso s’il avait accepté de rester dans son île. Héraclès, à la fois homme et dieu, se trouve à la fois aux Enfers et chez les Immortels. L’Aurore avait en revanche oublié de demander à Zeus l’éternelle jeunesse pour son amant humain Tithon devenu immortel. Ganymède a eu plus de chance en devenant l’échanson des dieux après avoir été enlevé par Zeus. De nombreux dieux – ainsi que quelques déesses – se sont unis à des mortels et en ont eu des enfants. Selon Hésiode, les hommes de la race d’or vécurent une vie proche de celle des dieux, devenant après leur disparition des démons veillant sur les hommes.

La deuxième partie traite du même thème dans le théâtre classique. Les tragédies grecques sont intégrées à des cérémonies religieuses en l’honneur de Dionysos, fils de la mortelle Sémélé, elle-même fille du héros thébain Cadmos et de la divine Harmonie, fille d’Arès et d’Aphrodite. Dans Les Perses d’Eschyle, le défunt roi Darius apparaît sous la forme d’un démon, être intermédiaire entre les dieux et les hommes. A la fin d’Œdipe à Colone, la mort du héros a donné lieu à des interprétations divergentes, selon que l’on y voie une apothéose ou une fin simplement humaine. Dans Les Oiseaux d’Aristophane, Oreste est qualifié à la fois de héros et de revenant détroussant les passants le soir.

Dans la troisième partie sont abordées les figures poétiques de la divinisation. De Pindare à Virgile, en passant par Théocrite et Callimaque, ce thème s’amplifie, se structure et devient une sorte de récitatif obligé. Le catastérisme (transformation en astre) occupe ici une place particulière, tant chez des auteurs hellénistiques que des auteurs latins comme Catulle ou Ovide. La quatrième partie s’attache à une sorte de géographie sacrée évoquant différents paysages – ruraux ou urbains – sanctuaires ou lieux remarquables qui furent le théâtre d’apparitions divines ou se rattachent à des hommes qui, par leurs exploits, ont mérité le statut de héros et le culte de la postérité (comme Diomède en Italie du Sud, Amphiaraos dans la région d’Oropos ou encore Théagénès à Thasos).

Les philosophes font l’objet de la cinquième partie. Des Présocratiques comme Pythagore ou Empédocle s’assimilent presque à des dieux. Platon procède à une intellectualisation de la religion traditionnelle, avec l’idée que l’assimilation de l’homme à la divinité ne se fait que «dans la mesure du possible». L’approche aristotélicienne de la nature humaine se veut plus prudente et plus mesurée que celle de Platon, définissant une morale du juste milieu pour un être qui se situe le plus souvent à égale distance de la divinité et de la bestialité. Les penseurs de l’époque hellénistique abandonnent l’idée d’une réalité transcendant le monde et considèrent qu’il faut trouver dans la nature la réponse à toutes les interrogations de l’être humain. La sagesse fait de l’homme l’égal d’un dieu. L’école épicurienne a pratiqué plus que toute autre le culte de la personnalité de son fondateur, qu’elle a vénéré à l’égal d’une divinité. Selon la doctrine stoïcienne, le sage est supérieur aux dieux, malgré sa finitude, en ce sens qu’il a conquis sa perfection en faisant usage de sa liberté. Mais l’époque hellénistique voit aussi se développer le scepticisme religieux. Ainsi, pour Evhémère de Messène (IIIe s. av. J.-C.), les dieux n’étaient en fait que des hommes exceptionnels, divinisés après leur mort. A l’époque impériale, le néoplatonisme retrouve les grands thèmes de l’immortalité de l’âme et de l’assimilation au divin «dans la mesure du possible».

La sixième partie, intitulée «Le temps de l’homme-dieu», a un contenu plus politique. L’épopée d’Alexandre, en inscrivant dans un temps historique très court tout ce qu’Homère avait suggéré de la capacité des héros à devenir semblables à des dieux, instaure une ère nouvelle. La tentation de se considérer comme un dieu et d’imposer cette croyance à ses sujets devient de plus en plus forte chez le conquérant au fur et à mesure de ses victoires. Ce mouvement se poursuit dans les royaumes hellénistiques, particulièrement en Egypte où les traditions de divinisation du souverain étaient déjà présentes à l’époque pharaonique. A Rome, les victoires des imperatores à la fin de la République posent la question du destin de ces hommes exceptionnels. César caresse peut-être le rêve d’être considéré comme un dieu vivant. Plus prudent, Auguste veille à ce que la divinisation soit celle de l’empereur mort ou celle de son genius. Ce programme politique est relayé par les écrits d’auteurs propagandistes du régime comme Virgile dans L’Enéide ou Ovide dans Les Métamorphoses. Le culte impérial se développe avec les successeurs d’Auguste, et prend des formes jugées extrêmes sous Caligula, Néron et Domitien. Mais il est difficile d’établir dans quelle mesure leurs extravagances rapportées par les historiens correspondaient chez eux au sentiment d’être véritablement des dieux. Il n’en demeure pas moins que le culte impérial envahit progressivement le langage administratif de l’Etat.

Comme les autres ouvrages de la même collection, ce Signets comprend en annexes un répertoire des dieux grecs et romains, de courtes biographies des auteurs cités, une bibliographie permettant d’aller plus loin – qui comprend curieusement plus de sources (7 pages) que d’études (2 pages) – et un index des auteurs et des œuvres cités. Il constitue une bonne introduction au sujet, même si certaines parties comptent assez peu de textes et auraient peut-être gagné à être davantage étoffées.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 08/02/2011 )
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