L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Aphorismes - Pensée & fragments
de Charles-Joseph de Ligne
Arléa - Poche 2011 /  10 €- 65.5  ffr. / 190 pages
ISBN : 978-2-86959-932-1
FORMAT : 11cm x 18cm

Le Moraliste scabreux

«Hélas ! Encore bien peu. Je viens de pécher»

Le Prince de Ligne, de son vrai nom Charles-Joseph de Ligne (1735-1814), est un personnage multiple et complexe comme le XVIIIe siècle savait si bien en faire ! Militaire de carrière, diplomate, écrivain, il fut aussi mondain de ses dames, parasite de cour et séducteur insatiable. La plume de cet ironiste de la première heure, libertin moraliste et fieffé coquin se confond avec sa carrière, riche en livres et en événements. 34 volumes composent une œuvre riche, inégale, et éclectique, même si l'on peut la rattacher au genre du mémoire et du traité. Le recueil présenté ici est une anthologie commencée il y a près de 300 ans par Mme de Staël, qui regroupe à la fois quelques réflexions et les célèbres Fragments de l’histoire de ma vie.

Un personnage de cette trempe serait marqué au fer rouge de nos jours ! Défendant les valeurs de la guerre comme source de vertu humaine, mondain féroce et aristocrate, libertin convaincu laissant souvent derrière son passage femmes et enfants, le Prince de Ligne se comporte comme un véritable trublion, et de la cour et de la pensée. Ses thèmes sont chevaleresques, galants, épiques et fortement ironiques. Mais derrière ces apparences trompeuses se cache un mémorialiste de premier ordre et un philosophe digne de son époque et de ses contemporains directs : Vauvenargues, Chamfort, Rivarol. Dans la pensée et dans la fougue.

La partie la plus intéressante du recueil se situe dans les Fragments de l’histoire de ma vie. Le mémorialiste s’accorde assez singulièrement avec le moraliste. Anecdotes de cour, chronique de la vie militaire, enchaînements des conquêtes géographiques et féminines, souvenirs d’enfance et du père tyrannique composent un tout fortement marqué par la provocation et l’irrévérence. Le ton, paramètre essentiel de la langue du XVIIIe siècle, décuple le propos. «Il me semble en vérité que j’ai été amoureux de ma nourrice, et que ma gouvernante a été amoureuse de moi. Mlle Ducoron, c’était son nom, me faisait coucher toujours avec elle, me promenait sur toute sa grosse personne, jouait avec moi de bien des façons et me faisait danser tout nu».

Beaucoup d’impertinence, mais aussi une volonté d’être le moraliste officiel de la cour (n’en déplût à Saint Simon). Certes, la quête du plaisir et de la chasse motive notre héros, mais la vertu n’est jamais absente de ses propos. Au contraire, c’est l’apanage du grand libertin du XVIIIe siècle, sage déguisé, que de faire le rapport - non exhaustif - des bassesses et des futilités propres à la cour du roi. Il fallait des natures comme la sienne pour appuyer là où la plume faisait encore mal (cf. l’anecdote sur le préservatif façon XVIIIe siècle ou celle de son enfant mort en bas âge). Parfois cynique, souvent scabreux, le Prince de Ligne est un mémorialiste hédoniste et provocateur, non sans drôlerie. Il est d’ailleurs curieux que les sulfureux qui le suivirent dans le temps l’aient si peu cité car il demeure encore aujourd’hui fort méconnu.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 22/03/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)