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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Paris pour mémoire - Le livre noir des instructions haussmanniennes
de Pierre Pinon
Parigramme 2012 /  49 €- 320.95  ffr. / 574 pages
ISBN : 978-2-84096-795-8
FORMAT : 25,1 cm × 32,0 cm

Requiem pour le vieux Paris

La maison d’édition Parigramme, à laquelle les amoureux du vieux Paris doivent tant, publie un fort volume de dessins de façades du Paris disparu à la suite des premiers travaux du Second Empire. Il s’agit des relevés, commandés par les Autorités en 1852, 1853 et 1854, de l’apparence des immeubles destinés à la disparition en raison du percement de la rue de Rivoli, de la reconstruction des Halles centrales et de l’élargissement de la tête de la rue Saint-Jacques entre le Petit-Pont et Saint-Séverin. Ces relevés se présentent sous forme d’esquisses au centième, les dessins aquarellés présentés aux commanditaires ayant brûlé dans l’incendie de l’Hôte-de-ville en 1871. Ceci explique le caractère austère de ces dessins préparatoires, certes détaillés et ombrés, mais ne portant que des indications de teintes pour l’aquarellage futur. Pierre Pinon nous rappelle avec précision les circonstances de ce travail, les avanies que l’œuvre a subies ainsi que la carrière de son auteur.

L’auteur principal en est Gabriel Davioud, alors jeune architecte-inspecteur au bureau des travaux d’architecture de la ville de Paris, sans doute secondé par un architecte élève de Labrouste, Joseph Pappert. Davioud est essentiellement connu aujourd’hui pour la part prise dans la construction du Paris d’Haussmann, pour certains monuments subsistants comme les théâtres de la place du Châtelet, la fontaine Saint-Michel ou le temple des Buttes-Chaumont, ou disparus comme le palais du Trocadéro, mais plus encore pour le dessin du mobilier urbain, grilles, luminaires, kiosques et autres pavillons.

L’intérêt documentaire de ces dessins est d’autant plus grand que nous ne disposons d’aucune photographie des lieux reproduits, la mission confiée au photographe Marville de reproduire les quartiers promis à la démolition ne commençant qu’en 1862. D’une certaine façon, ces dessins présentent un intérêt supérieur à celui de l’œuvre de Marville dans la mesure où la photographie dans l’axe d’une rue ne permet pas de figurer clairement l’apparence des façades, sauf exception. Ici, le moindre détail est reproduit, non seulement les raisons sociales, mais aussi les objets exposés en façade (chaussures, chapeaux, jambons, hardes, etc.) et jusqu’aux calicots annonçant le changement d’adresse du commerçant expulsé. On s’amusera à noter la mention de petits commerces disparus comme la «vente d’eau de Seine filtrée» (p.227) ou de firmes existant encore de nos jours comme le fourreur Révillon (p. 270), alors rue Saint-Honoré.

Sur un plan plus architectural, on constate que la plus grande partie du bâti de ces rues du centre de Paris n’est pas très ancienne puisque la plupart des maisons remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles. Rares sont les maisons à pignon ou pans de bois. On se promène au sein d’un monde vide, figé au moment où il va plonger dans l’oubli, ultime témoignage du décor de la Révolution comme de l’univers de Balzac.

Donc, une somme considérable de renseignements authentiques, complément indispensable des albums photographiques du vieux Paris. On regrettera seulement l’insuffisance du plan fourni, extrait du plan de Jacoubet (1836), sous forme d’une double page située de manière curieuse au milieu de la préface, mais surtout qui ne couvre qu’une partie des rues concernées et qui est reproduit à une échelle trop petite, ce qui en rend la consultation malaisée. Ceci est d’autant plus dommage que s’agissant du plan de Jacoubet, levé entre 1827 et 1839, il existe un exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale où figurent en surimposition le tracé des travaux haussmanniens, ce qui permet une meilleure compréhension des planches pour situer les édifices détruits. On s’en persuadera en se reportant à la page 100 d’un autre ouvrage de Pierre Pinon, Les Plans de Paris, Histoire d’une capitale, paru en 2004, où figure précisément le quartier des Halles, qui nous intéresse ici.

Cette réserve ne doit pas amoindrir l’intérêt présenté par cette publication, surtout si l’on ajoute que l’édition en et très soignée, tant pour la qualité de la reproduction des planches que pour la belle reliure, ornée de fers à froid, dans un style rappelant celui de l’époque. Sa couleur noire renforce le caractère commémoratif de l’ouvrage, qui, plus encore qu’un «livre noir des destructions haussmanniennes» est une œuvre de deuil, vestige d’un recueil disparu d’un Paris lui-même englouti.

Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 11/12/2012 )
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