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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Mercato - Le commerce dans les mondes grec et romain
de Airton Pollini , Paulo Funari et Collectif
Les Belles Lettres - Signets 2012 /  14,50 €- 94.98  ffr. / 314 pages
ISBN : 978-2-251-03019-7
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est docteur et professeur agrégé en histoire.

Le commerce dans tous ses états

Leur couverture rouge et leurs titres tapageurs les rendent bien reconnaissables : le dernier livre de la collection ''Signets'', aux Belles Lettres, n’échappe pas à la règle avec son titre aux accents footballistiques : Mercato. Mais le sous-titre (Le commerce dans les mondes grec et romain) ainsi que les auteurs (Pedro Paulo Furnari et Airton Pollini), tous deux universitaires, rappellent que le commerce est une affaire sérieuse !

Comme pour les autres volumes de cette collection, il s’agit d’une anthologie de textes qui proviennent des “grands” auteurs antiques, auxquels ont été ajoutées quelques inscriptions célèbres. Ce volume est précédé d’un entretien avec Jean Audreau, spécialiste de l’économie romaine, particulièrement intéressant car il dresse, en quelques pages, un tableau des principaux problèmes historiographiques que soulève la question du commerce dans l’Antiquité : il présente en particulier le débat entre “primitivistes” (qui, à la suite de Finley, soutiennent l’idée d’une différence radicale entre nos économies et celles de l’Antiquité) et “modernistes” qui défendent la “modernité” des pratiques économiques de l’Antiquité. Les auteurs de cet ouvrage se situent plutôt dans cette tendance, mais n’ont pas pour autant négligé, dans leur anthologie, les textes qui ne vont pas directement dans ce sens.

Les textes, livrés en français, sont classés par thèmes et précédés de présentations (sur le thème et sur le texte) brèves mais efficaces : elles vont directement à l’essentiel et montrent bien l’intérêt principal des documents. Sans suivre intégralement l’ordre du livre, nous en présenterons quelques aspects. Les produits échangés, qui sont présentés en premier, offrent un vrai dépaysement : on trouve certes la «triade méditerranéenne» (le vin, l’huile, le blé), mais aussi des produits exotiques (comme la soie) et bien d’autres denrées alimentaires (comme dans ce texte d’Aristophane : «[Je t’apporte] tout ce qu’il y a de bon en Béotie, absolument : origan, pouliot, nattes, mèches, canards, choucas, francolins, poules d’eau, roitelets, plongeons…») ; à cela s’ajoutent les animaux de trait, les produits artisanaux et surtout les esclaves.

Ce livre présente aussi les centres commerciaux, au premier rang desquels se trouvent les grands ports (le Pirée, Byzance, Ostie, Délos, Corinthe), au centre d’un commerce international. Viennent ensuite les marchés au centre des villes, sur la grande place (agora ou forum) au pied des temples des dieux qui veillent sur cette activité. Et puis existent aussi des marchés aux frontières des cités ou des foires qui accompagnent souvent les jeux et les concours, à l’occasion des fêtes religieuses.

Un des thèmes majeurs de l’ouvrage qui revient dans plusieurs sections, est celui de la réflexion sur le métier de marchand. Sur ce point, les opinions divergent et un même auteur peut avoir une pensée fluctuante ou riche de nuances. Les stéréotypes à l’encontre du marchand voleur se trouvent à toutes les époques, dans tous types de textes, de la poésie à la philosophie, en passant par la comédie. Souvent les philosophes (comme Platon ou Aristote) et les tenants de l’esprit aristocratique (comme Cicéron dans plusieurs textes) dénoncent la pratique du prêt à intérêt et témoignent d’une grande méfiance à l’encontre du commerce qu’ils souhaiteraient, sinon proscrire, du moins encadrer plus fermement. Mais même ces auteurs sont conduits à reconnaître l’utilité du commerce, que ce soit pour les ressources de l’État ou pour approvisionner la cité. D’autres auteurs sont moins réticents et soulignent que la cupidité est un des moteurs du développement économique des cités. L’analyse de Strabon, qui étudie la richesse et l’influence des cités, en fonction de leur situation géographique sur les circuits commerciaux, et en fonction de leur proximité par rapport aux ressources et aux marchés – est particulièrement étonnante de modernité et témoigne d’une réelle analyse économique.

Un autre aspect important du livre est celui consacré à l’encadrement des pratiques économiques qui s’opère à plusieurs niveaux. Les procès du IVe siècle av. J.-C. révèlent l’existence de contrats commerciaux très élaborés entre marchands et fournisseurs de capitaux qui forment autant d’entreprises commerciales. Au niveau de la cité, le contrôle du marché constitue un aspect important de la politique : des magistrats sont chargés de surveiller les transactions sur le marché, mais, de façon plus générales, les cités entendent souvent contrôler les flux commerciaux pour assurer leur approvisionnement et souvent exclure des marchands étrangers.

Cet ouvrage a donc finalement trouvé un bon équilibre entre la volonté d’actualiser l’Antiquité (visible dans les titres souvent provocateurs mais surtout dans la recherche des rapprochements avec les problématiques de notre époque) et la fidélité aux sources puisque celles-ci constituent le cœur du livre. Ce nouveau volume de la collection «Signets» est donc une belle réussite.

Emmanuel Bain
( Mis en ligne le 08/01/2013 )
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