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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Stalingrad. 1942
de Alexander Werth
Fayard 2013 /  19 €- 124.45  ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-213-66681-5
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

La mère des batailles ?

Avec ce Stalingrad 1942, on dispose désormais de la partie la plus passionnante des écrits et carnets de guerre d'Alexander Werth, l'un des premiers historiens de la Grande Guerre patriotique soviétique, et accessoirement l'un des grands représentants de la presse anglaise en URSS (1941-1948). Après Moscou 1941 et Leningrad 1943 (Tallandier), ce Stalingrad 1942 évoque l'un des tournants majeurs du conflit, et prépare l'ouvrage de synthèse publié plus tard, La Russie en guerre (Tallandier). Les amateurs d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale ont donc à leur disposition non seulement l'ouvrage final, mais également les carnets et chroniques qui l'ont inspiré. Et bien évidemment, dans le lot, Stalingrad est sans doute l'un des plus attendus... d'autant plus que dans l'immédiat après guerre, le sens exact de la bataille est encore flou, perdu dans ce "brouillard de guerre" qui ne permet pas de discerner, sauf au plus haut niveau du quartier général, un sens au sacrifice de centaines de milliers de soldats.

A cet égard, la question des sources demeure un problème et comme Alexander Werth le reconnait, il reste tributaire de quelques confidences d'officiers russes ainsi que des premiers articles synthétiques de la presse militaire soviétique. Très humblement, il évoque un reportage impressionniste plutôt qu'une reconstitution historique, impossible faute d'archives officielles... Et c'est pour cela que l'ouvrage est d'autant plus réussi. Ne disposant que d'un maigre éclairage, mais de qualité, le reporter parvient, avec un talent que les ouvrages précédents avaient déjà illustré, à restituer l'immense bataille/siège de Stalingrad à plusieurs niveaux. Dans un style sobre et précis, sans emphase, il passe du plan stratégique au plan tactique - celui des soldats, de la troupe - et donne à voir la bataille et ses lendemains dans une visite hallucinée. Un peu à la manière des carnets de guerre de Vassili Grossman, tout l'intérêt - et le côté séduisant - de Werth est de donner la parole à de nombreux acteurs, à tous les niveaux, et de savoir ainsi traîner le lecteur jusque dans les trous d'obus devenus nids de mitrailleuse. On suit tout à la fois la logique du plan soviétique - qui consiste notamment à laisser la ville tenir dans une économie de moyens qui peut sembler criminelle pendant que la masse des troupes fait mouvement pour écraser dans un étau la VIe armée allemande - et les réflexions discrètement désabusées des soldats, dans le chœur des discours de la propagande.

Le résultat est finalement assez moderne au plan de l'historiographie : le récit d'une bataille longue, à la fois militaire mais également politique et quasi symbolique entre l'URSS (voire Staline lui-même qui, au temps de la révolution, s'était ridiculisé dans l'ancienne Tsaritsyne... devenue Stalingrad) et l'Allemagne, à la fois excessivement audacieuse et sûre d'elle, et parfois trop prudente. Surtout, Werth dépeint une bataille où tout dépend du souffle et de la capacité à tenir le plus longtemps avec le minimum de moyens, dans des conditions de combat d'une dureté inouïe. Le tableau d'une ville devenue un champ de ruines au sens propre, impraticable aux blindés, ou chaque pouce de terrain est une forteresse en soi, est assez impressionnant. De même, l'auteur souligne le poids des questions d'intendance, le rôle de l'alcool, les limites de l'armement et des choix stratégiques, l'étonnante capacité de la ville à maintenir une vie, une production dans un chaos absolu, la capacité aussi des individus à tenir en dépit de ou grâce à une propagande quasi oppressante.

Certes, l'ouvrage vient à la suite d'une historiographie contemporaine de grande qualité : les ouvrages d'Anthony Beevor, de Catherine Merridale et de Jean Lopez, les récits de Vassili Grossman sont devenus des classiques. Mais, dans un format plus court et sans doute plus accessible, sur un ton plus simple qui est celui du reporter de guerre, et avec une subjectivité revendiquée (notamment pour le témoignage du chapitre final, la visite de Stalingrad libérée et dévastée), cet ouvrage est finalement le bienvenu pour découvrir cette immense bataille, en saisir l'importance historique autant que l'ampleur.

Entre document historique, récit et analyse, quasiment à chaud, l'ouvrage d'Alexander Werth ne dépare pas dans la bibliographie précédemment citée et intéressera tous ceux qui sont sensibles à cette approche anglo-saxonne toujours séduisante, à la fois anthropologique et stratégique de la guerre. L'ouvrage, doté par ailleurs de quelques cartes et d'un index, constitue également une source intéressante.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 19/02/2013 )
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