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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Ceux de 14
de Maurice Genevoix
Flammarion 2013 /  25 €- 163.75  ffr. / 953 pages
ISBN : 978-2-08-130985-2
FORMAT : 14,0 cm × 19,8 cm

Michel Bernard (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.


Neuf mois de guerre

«Un coup de tonnerre», c’est ainsi que Maurice Genevoix, comme d’autres, perçoit, le 1er août 1914, la mobilisation générale. Le jeune homme, étudiant brillant, spécialiste de Maupassant, quitte un avenir universitaire bien tracé pour la guerre, une guerre que tout le monde espère courte. Il y découvre un nouveau monde, avec ses pièges, ses dangers, ses rituels, son langage, un univers bien éloigné de son quotidien… un univers dont il faut pourtant vite assimiler les codes. Devenu «Mon lieut’ant», Genevoix observe, analyse, se laisse gagner par cette guerre qui désormais le hantera, ainsi que le reste de sa génération.

Dans un style sobre, réaliste, parfois teinté d’un discret humour (le bombardement conjoint de la mairie et de l’église d’un village entraîne ce simple mot : union sacrée !), il décrit sans artifices la réalité du front dans l’un des moments les plus périlleux, les discussions, l’attente, le combat, le casernement, la cohabitation sous le feu, cette guerre qui peu à peu colle aux individus sans leur laisser un temps de répit. Les romans qui composent Ceux de 14 ne sont toutefois pas les aventures du lieutenant Genevoix : il s’agit d’une tranche de vie, celle du 106e RI dont Genevoix se fait, en quelque sorte, la mémoire.

L’année 14 – 2014 – se précise, un centenaire approche, celui d’une guerre éprouvante, traumatisante pour les sociétés comme pour les individus, une guerre totale qui inaugure le XXe siècle, «siècle de fer». Dans le flot des études, conférences, colloques, cérémonies et commémorations, il est sans doute bon de revenir à la base, c’est-à-dire aux témoins, engloutis dans le maelström de la guerre. Maurice Genevoix n’est certes pas un anonyme : l’auteur, décédé en 1980, prix Goncourt et académicien, est l’une des grandes et belles plumes françaises, une œuvre immense et célébrée, peut-être même bientôt panthéonisée… Mais en 1914, il n’est encore, à 24 ans, que le simple lieutenant Genevoix du 106e régiment d’infanterie, un tout jeune officier, lettré et égaré dans la guerre, bientôt blessé après neuf mois de front, après avoir défendu la Marne et bataillé aux Eparges. Et le lieutenant Genevoix décide de raconter sa guerre, de témoigner : cela donne un ensemble d’ouvrages publiés, retouchés, censurés, réédités… depuis Sous Verdun (1916) jusqu’à Les Eparges (1923) en passant par Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918) et La Boue (1921). Une fièvre scripturale pour faire partager l’indicible : une gageure alors ? Car comme Genevoix lui-même le disait : «Cette sorte d’expérience n’est pas transmissible».

Et pourtant, Genevoix demeure l’une des grandes voix de ce conflit, l’auteur d’une oeuvre majeure, saluée dès l’après guerre par quelques grands témoins, à commencer par Jean Norton-Cru, ce vétéran franco-américain, professeur de littérature qui s’érigea, au lendemain du conflit, comme le censeur inflexible des récits de guerres truqués et qui considérait ces romans comme l’archétype du récit vériste de la Grande Guerre. Si le cas Norton-Cru fait encore débat dans l’historiographie, la qualité des romans de Genevoix, elle, est unanimement admise et cette édition complète, réunie sous le titre Ceux de 14, donne au lecteur du XXIe siècle un point de vue inoubliable sur le front.

Cette réédition est ouverte par une belle préface de Michel Bernard, préface indispensable pour éclairer le texte et ses réécritures, car Genevoix, dans la réédition de son ouvrage en 1949, rajoute des scènes qu’il avait naguère censurées, à commencer par un épisode où il tue, dans le dos, des soldats allemands. Une précision qui n’est pas anodine et qui souligne, autant que le travail de l’écrivain, celui du deuil, de la mémoire et du traumatisme, longtemps après les faits. Complété par un très riche cahier réalisé par Florent Deludet, et consacré au 106e régiment d’infanterie, l’ouvrage dépasse la simple réédition. En effet, Florent Deludet publie nombre de documents sur ce «contexte» qui inspire l’œuvre : les divers protagonistes, soldats et officiers, et quelques épisodes éclairés. Ce riche cahier restitue le milieu dans lequel évolue Genevoix. Une annexe intéressante et qui donne de la chair à cette lecture.

Au final, une réédition en avance sur son temps (le centenaire de l’œuvre ne débute qu’en 2016 : 2013 serait plutôt l’année Proust…), augmentée, nécessaire, en préalable aux quatre années de commémorations diverses qui s’annoncent : un premier aperçu littéraire de ce qui fut la grande Guerre des Français, et une grande plume, poignante dans sa simplicité, à redécouvrir.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 22/10/2013 )
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