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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Au nom du Japon
de Hiro Onoda
Manufacture de livre 2020 /  20,90 €- 136.9  ffr. / 316 pages
ISBN : 978-2-35887-597-4
FORMAT : 14,0 cm × 20,0 cm

Sébastien Raizer (Traducteur)

La guerre éternelle ?

Entré en guerre mondiale en 1944, comme d’autres entrent en religion, Hiro Onoda n’en est sorti que trente ans plus tard, en 1974, après que sa famille, ses amis, l’Etat japonais et l’Etat philippin aient tenté à maintes reprises de le ramener à la réalité. Cas extrême ? Anomalie historique ? Certes, mais c’est aussi un destin, et un individu, avec ses idées, ses ambitions, ses contradictions, etc., qu’il faut apprendre à connaître pour sortir un peu de l’anecdote spectaculaire…

Hiro Onoda est d’abord un tout jeune homme qui, en 1944, reçoit son ordre de mobilisation au nom de l’empereur du Japon : formé dans une école d’officiers, il se spécialise dans le renseignement et la guérilla et est envoyé dans une île des Philippines organiser la lutte contre les Américains. Presque immédiatement, ceux-ci débarquent et écrasent, rapidement, les maigres troupes japonaises demeurées sur place. Mais Onoda, avec trois autres soldats, décide de préparer la reconquête et gagne en quelque sorte le maquis. Là, pendant trente années, et au rythme des pertes, des blessures et des attentes, il veille sur son domaine en attendant une hypothétique reconquête japonaise, opérant au passage quelques actions de guérilla contre les paysans locaux…

On croirait un roman, et un roman fantastique, tant le récit peut sembler par moment surréaliste. A quatre, puis trois, puis deux, puis seul, Onoda et ses hommes organisent une existence dictée par la guérilla, la clandestinité, le renseignement et plus globalement, la guerre : trois décennies d’une vie de guérillero dans une jungle à la fois riche et difficile, sans nouvelles du dehors… ou plutôt en esquivant toute réalité. Ce récit, rédigé (et traduit d’une main de maître) par le dernier des quatre, est impressionnant non seulement par ce qu’il révèle du quotidien de ces hommes, de la manière dont ils survivent dans un environnement hostile, ainsi que de leur cadre mental (un nationalisme que rien, pas même l’évidence, ne saurait tempérer) mais également de la manière dont on peut refuser la réalité à l’aide de constructions fantasmatiques dictées par l’idéologie et le fanatisme. Acclamé au Japon à son retour, Onoda est un cas singulier d’aveuglement, sur le très long terme, un parangon de complotiste et le chapitre dans lequel il s’interroge sur sa capacité à nier l’évidence (à savoir la fin de la guerre) en inventant des opérations secrètes américaines, traduit excellemment le climat de paranoïa qui pouvait régner dans certains cercles militaires à la fin du conflit.

Ce récit, est, de ce fait, d’une qualité exceptionnelle, non seulement pour ce qu’il raconte de la survie de soldats dans la jungle, mais surtout pour essayer de saisir l’univers mental d’un nationaliste fanatique lorsqu’il est livré à lui-même. Rédigés dans un style sobre, mais avec un sens indéniable du rythme, ces souvenirs se dévorent comme un roman, tant ils paraissent improbables. Pourtant, il s’agit là d’une vie, une vraie.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 27/04/2020 )
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