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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Mémoires
de Sergent Bourgogne
Arléa 2020 /  15 €- 98.25  ffr. / 456 pages
ISBN : 978-2-36308-232-9
FORMAT : 13,0 cm × 20,0 cm

Gilles Lapouge (Annotateur)

Anabase

L’expression est proverbiale : «c’est la Bérézina» sous-entend une catastrophe, un désastre, une déroute, la cerise moisie sur la gâteau trop cuit. Proverbiale certes, mais au point d’en atténuer, voire d’en masquer la réalité. Que fut exactement la Bérézina ? Une bataille pour le passage de cette rivière, prés de la ville de Borisov, en novembre 1812… et surtout une victoire de la Grande Armée napoléonienne sur les troupes russes de Koutouzov. Mais une victoire au goût de défaite puisqu’elle ponctue une retraite terrifiante dans l’immensité russe, au cœur d’un hiver plus que rude. Pour comprendre la réalité de cette retraite, qui fut à l’armée française ce que fut l’Anabase pour les armées antiques, il faut revenir au sol, au plancher des vaches, abandonner le relatif confort des Etats-majors et d’une vision surplombante pour se confronter au réel : le froid, la faim, la vermine, l’incendie de Moscou, la neige qui engloutit tout, ce «général Hiver» qui n’autorise aucune invasion de la Russie.

Pour saisir cette réalité, autant se mettre dans les pas du sergent Bourgogne, grenadier vélite de la Garde, soldat dans l’âme, et soldat d’élite, arrivé à Moscou avec le reste de l’armée napoléonienne, triomphant, puis reparti – tardivement – pour affronter la route de retour et ses dangers. On a peine à imaginer ce que fut cette retraite, qui vit une armée immense et brillante, harnachée et coiffée, un rassemblement de toute l’Europe impériale, s’engloutir dans les neiges russes, avant de se heurter, comme un ultime obstacle, à une armée russe prête à en finir avec l’ogre amaigri. 

Au passage, on survit, on mange du cheval, on boit de la neige arrosée de genièvre, on vend tout ce que l’on a pris à Moscou pour trouver de quoi manger. C’est une odyssée inimaginable, jonchée de cadavres et de drames, de combats et d’escarmouches avec les cosaques. Dans Moscou livrée aux incendiaires et aux repris de justice, comme dans les campagnes peuplées de loups et de paysans apeurés, Bourgogne marche, tente de sauver sa peau, parfois d’aider des «pays» et autres compagnons, tel Picart, lui aussi soldat de la Garde, avec qui il fait un bout de chemin en se veillant mutuellement. Le froid, la solitude, la vermine, l’ennemi, la faim… tout tue. Et parmi les scènes cauchemardesques de champs de cadavres et de soldats rendus fous par la faim, on note, symboliquement, la larme versée devant le passage de Napoléon lui-même, marchant à pieds avec une grosse canne au milieu de son état-major dépenaillé.

Ces mémoires sont éprouvantes et impressionnantes, un document pour les amateurs de guerre napoléonienne, afin de saisir, un peu à la manière d’un John Keegan, la bataille au ras du sol. Une lecture qui séduira les amateurs d’histoire, curieux des marges de la «grande» histoire.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 15/02/2021 )
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