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Le Voyage des princes fortunés
de François Béroalde de Verville
Passage du Nord-Ouest 2005 /  26 €- 170.3  ffr. / 816 pages
ISBN : 2-914834-19-5
FORMAT : 12,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).

Amour, alchimie et écriture

Béroalde de Verville n’est pas l’homme d’un seul livre. Certes, le Moyen de parvenir est de loin le plus connu de ses ouvrages : son succès a été très grand, il a nourri des générations d’écrivains et de lecteurs, et compte parmi les romans qui ont marqué de leur empreinte l’évolution du genre. C’est cet ouvrage que les éditions Passages du Nord-Ouest nous donnaient il y a trois ans (réédité en 2005), contribuant heureusement à sa diffusion.

Mais Béroalde avait plusieurs cordes à son arc. Ce fils d’un grand hébraïsant humaniste, lui-même médecin et chanoine après avoir abjuré le protestantisme, a publié de nombreux ouvrages dans des genres très divers. Divers traités, des recueils de poésie légère ou philosophique et plusieurs romans. Le Voyage des princes fortunés fait partie de ce dernier genre bien qu’il ne se refuse pas l’emploi de passages versifiés.

L’esprit curieux qu’est Béroalde nous donne ici un récit d’aventure d’où surgissent des réminiscences de romans italiens ou de Lucien. Surtout, suivant son habitude, il construit son récit avec une grande habileté et une originalité remarquable. Il commence par plonger son lecteur au milieu de l’action, l’appelant à se confondre avec le narrateur, pour ensuite s’amuser à lui donner des renseignements selon sa volonté propre et sans cesse le frustrer du dénouement. Le lecteur est alors obligé de lui-même recréer la logique du livre, exercice d’autant plus difficile qu’un vocabulaire alchimique équivoque envahit le texte. Le roman se présente donc comme une sorte d’anamorphose que le lecteur devrait redresser.

L’édition s’efforce d’être complète afin d’être accessible au plus grand nombre : un glossaire, de très nombreuses notes et une bibliographie sont les bienvenus pour introduire le lecteur dans le texte. On trouve certes dans cet apparat critique, de ci de là, quelques naïvetés : le titre d’écuyer indique seulement la noblesse d’une personne, son rang social, et non une éventuelle activité militaire ; mais dans l’ensemble, tout est fait pour que le lecteur intéressé trouve les clefs de lecture d’une œuvre dont l’accès n’est pas aisé.

On restera plus circonspect devant la décision de «traduire» certains mots («celui-ci» pour «icelui» ou «prêt à» au lieu de «prêt de») : la balance est certes souvent difficile à trouver entre facilité de lecture et respect du texte mais il convient de faire la différence entre les modifications touchant à l’orthographe, qu’un éditeur scientifique peut se permettre afin de s’adapter à un public, et la réécriture touchant à l’essence même du texte. En ce cas, des notes marginales auraient peut-être été plus heureuses pour expliciter le sens de locutions disparues.

Le Voyage des princes fortunés, exhumé de l’oubli où on le tenait injustement, est à la fois une lecture agréable, une porte vers la littérature d’un premier XVIIe siècle encore mâtiné d’humanisme tout en lorgnant vers une préciosité baroque, et un jalon dans l’évolution du roman. Souhaitons que le petit éditeur d’Albi continue de fournir des œuvres anciennes de grande qualité, hélas aujourd’hui difficilement accessibles, à un large public.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 26/01/2006 )
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