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André Gide - Maurice Denis - Correspondance 1892-1945
de Maurice Denis et André Gide
Gallimard - Les cahiers de la NRF 2006 /  25 €- 163.75  ffr. / 419 pages
ISBN : 2-07-078214-X
FORMAT : 14,0cm x 20,5cm

Annotations de Pierre Masson, Carina Schäfer et Claire Denis.

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).


Conversations sur l’art

L’exposition sur Maurice Denis qui se tenait au musée d’Orsay a déjà fermé ses portes. Comme souvent, elle s’est accompagnée d’une floraison éditoriale d’un grand intérêt. Il y eut bien entendu un catalogue et des ouvrages de vulgarisation. Mais l’exposition est également l’occasion d’élargir nos connaissances par la publication de sources, qui peuvent se lire comme des œuvres et sont du plus grand intérêt pour les chercheurs. Les complicités intellectuelles qui lient un auteur et un peintre sont finalement fort intéressantes pour établir des ponts entre les deux arts. On connaît les liens entre les poèmes de Mallarmé et les œuvres d’Odilon Redon, beaucoup moins l’amitié entre Maurice Denis et André Gide.

Très jeune encore, Gide s’intéresse à la peinture, notamment à Sérusier ou à Gauguin, il n’est pas impossible qu’il ait eu un aperçu de l’œuvre de Denis dès 1891 quand le peintre crée les costumes et les décors de Théodat de Remy de Gourmont. Le jeune auteur a aussi certainement lu en 1890 un article de Denis qui met en exergue une conception de l’art très proche de celle qu’il expose dans son Traité du Narcisse. On voit que, malgré leurs différences, les deux jeunes hommes évoluent dans les mêmes milieux et partagent un certain nombre d’idées, notamment artistiques. Leur véritable rencontre va se faire autour d’un projet qui permet de réunir leurs talents respectifs. La publication d’éditions de luxe, illustrées par un artiste de valeur était très à la mode à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, période du renouveau de la gravure sur bois. Denis illustre ainsi de nombreux ouvrages au cours de sa carrière. L’un des premiers est le Voyage d’Urien d’un jeune écrivain de 23 ans, André Gide.

On sait moins en revanche que cette amitié s’est poursuivie pendant la vie entière des deux hommes, malgré les voies différentes qu’ils ont empruntées. Tout séparait en effet le grand bourgeois protestant, disposant d’une fortune personnelle qui lui permettait de mener sa vie à sa guise, et le peintre d’origine modeste, pieux et catholique. Tout séparait l’écrivain hédoniste et l’artiste d’une piété scrupuleuse, proche de l’Action française. C’est principalement sur le thème de la religion, si importante dans la vie et l’œuvre de Denis, que les deux hommes divergent. Selon les œuvres, Denis se montre plus ou moins attiré par les ouvrages de Gide mais il demeure en tout cas toujours un critique franc et exigeant, qui sait faire abstraction de ses dégoûts pour apprécier la forme de L’Immoraliste ou des Caves du Vatican.

L’événement clef de leur relation est un voyage à Rome en 1898, au cours duquel Gide a promené un Maurice Denis déçu de la ville éternelle et a su lui découvrir ses beautés. Plus tard, les lettres entre les deux hommes rappelleront souvent cet épisode heureux. Gide achète plusieurs œuvres de son ami, entre autres en 1901, l’Hommage à Cézanne, œuvre qui est présentée à l’exposition du musée d’Orsay et dont Gide a fini par faire don au musée du Luxembourg.

Bien que toujours cordiales, leurs relations se distendent peu à peu mais ne cessent jamais, malgré des épisodes difficiles. Au total, on conserve plus de 230 lettres échangées de 1892 à 1929. En 1932 encore, alors que Denis est élu à l’Académie des beaux-arts, Gide participe à la souscription destinée à lui offrir son épée et ce dernier accepte encore de préfacer le catalogue de l’exposition posthume consacrée à Maurice Denis au Musée d’art moderne lorsque la fille du peintre lui en fait la demande.

L’ensemble est à la fois édité par les soins d’un gidien et d’une spécialiste de Maurice Denis. Pierre Masson a déjà édité la correspondance de Gide avec Marc Allégret ou Aline Mayrisch et publié de nombreuses études sur son œuvre. Carina Schäfer collabore à la rédaction du catalogue raisonné de l’œuvre de Denis. Il y a peu à dire sur l’édition elle-même qui est très bien faite. On regrettera cependant que les lieux de conservation des lettres ne soient pas indiqués, ce qui rend difficile le recours aux manuscrits. Les éditeurs ont décidé de ne pas considérer les envois comme de la correspondance mais d’en donner une photo lorsqu’ils sont conservés et connus. Les envois ne sont d’ailleurs pas les seuls éléments insérés dans le texte : dans la mesure du possible, des tableaux de Denis (parfois inédits) sont reproduits, souvent en relation avec le texte.

Cette édition n’est donc pas seulement une correspondance d’André Gide de plus. L’amitié constante mais également le contraste entre les deux hommes met en évidence l’originalité de leurs théories esthétiques respectives et souligne encore une fois l’intérêt de la publication de correspondances d’écrivains et d’artistes.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 26/01/2007 )
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