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Les Politiques de la haine

Esprit 1999 /  13.59 €- 89.01  ffr. / 252 pages

Les politiques de la haine

Rendons tout d'abord hommage à Esprit qui n'a cessé depuis 1991 d'alerter l'opinion sur la situation dans les Balkans et plus particulièrement en ex-Yougoslavie. C'est avec raison que l'équipe de la célèbre revue peut affirmer dans son éditorial que "ceux qui se plaignent que l'histoire a perdu tout son sens en sont pour leur frais : les massacres récents au Kosovo étaient prévus et prévisibles" ; si l'on regarde en effet la généalogie de ce conflit, c'est bien la chronique d'une catastrophe annoncée que compose, entre autres, la bonne vingtaine d'articles rédigés au fil des numéros du périodique : chronique d'une catastrophe annoncée, quand les dirigeants choisissent de mener "les politiques de la haine" qui aboutissent à la destruction, aux drames collectifs et individuels.

Ce numéro reprend d'anciens articles écrits par des dissidents yougoslaves qui donnent quelques clés pour comprendre la situation actuelle. Bogdan Bogdanovic, ancien maire de Belgrade, précoce dissident anti-Milosevic et inventeur du néologisme d'"urbicide" à propos des conflits de Croatie et de Bosnie, souligne les effets pervers de la mémoire fictive, mémoire reconstruite et imposée : une volonté de destruction de la réalité, de ses expressions, de la civilisation.

La revue nous propose ensuite un article d'Ivan Djuric, décédé en 1997 à Paris, l'une des figures marquantes de l'opposition, adversaire de Milosevic aux élections présidentielles de 1990 ; l'auteur revient sur cette méfiance maladive d'une partie de l'idéologie serbe à l'encontre de la ville et s'emploie à montrer a contrario le caractère résolument occidental et européen de Belgrade, loin de toute tentative de marginalisation de la cité aux confins orientaux de l'Europe (et peut-être aussi face au danger d'un certain despotisme oriental, serait-on tenté d'ajouter). Enfin Muhamedin Kullashi, enseignant à l'Université de Paris VIII trace la genèse de la crise actuelle en décrivant comment la politique du pire mise en oeuvre par les nationaux-communistes de Belgrade depuis 1987 a non seulement conduit au drame kosovar mais a également ruiné toute possibilité d'une réelle démocratisation du régime serbe lui-même.

Soulignons en dernier lieu l'excellent article d'Antoine Garapon et d'Olivier Mongin, piliers de la revue Esprit et membres du comité Kosovo : "De Phnom Penh à Pristina, métamorphose du pouvoir et de la guerre" ; pour ces deux auteurs, on peut tirer de conflits récents, et en particulier de la guerre en Yougoslavie, plusieurs leçons : l'apparition d'une nouvelle forme de pouvoir, le surgissement d'une violence guerrière inédite et la naissance d'une nouvelle forme d'intervention de la force internationale.

Tout d'abord, l'ethnicisation de l'action politique, moteur aveugle du pouvoir de Milosevic, recompose aujourd'hui un nouveau totalitarisme ; ce dernier rejette radicalement l'autre dont la réalité de l'existence sur le territoire et de l'appartenance à la communauté politique est niée. Ensuite ce conflit est d'un genre nouveau : il ne s'agit pas d'une guerre civile qui aurait dégénéré, mais d'une vaste opération de purification ethnique dont les opérations militaires ne sont plus que le prétexte : si la guerre civile repose sur l'affrontement de deux groupes organisés, la "guerre aux civils" pour reprendre une expression utilisée pour le titre d'un ouvrage sur la guerre en Bosnie, oppose un groupe organisé à une population qui ne l'est pas. Enfin, les auteurs voient dans cet épisode tragique de la crise des Balkans une nouvelle étape dans le dépérissement de la souveraineté interne sous la pression internationale des droits de l'homme : mieux qu'un dévoiement de la politique dans le "pansement humanitaire", Antoine Garapon et Olivier Mongin distinguent avec satisfaction dans cette "opération de police internationale" les ressorts d'une véritable réaction politique au service d'une nécessaire solution politique, seule à même d'arrêter le crime.

Même si l'on peut penser que cette réhabilitation d'une certaine violence légitime internationale n'est pas nouvelle, quoique encore vivement contestée, cette crise en marque une nouvelle étape au profit de la démocratie.

Olivier Saint-Guilhem
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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