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Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

State building - Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle
de Francis Fukuyama
La Table Ronde 2005 /  17 €- 111.35  ffr. / 198 pages
ISBN : 2-7103-2744-9
FORMAT : 14x19 cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Fukuyama au secours de Bush

Francis Fukuyama, faut-il le rappeler, s'est fait connaître du monde entier en quelques mois grâce à un article qui deviendra un livre, intitulé : La Fin de l'histoire ou le dernier homme (1992). Il y annonçait et célébrait la démocratie de marché comme unique horizon d'attente pour le monde. Ce succès mondial lui valu un poste de professeur à la prestigieuse John Hopkins University. Depuis, sont parus en France La Fin de l'homme (2002) ou Le Grand Bouleversement (2003), ouvrages dans lesquels Fukuyama expose sa conception de l'homme et de l'ordre social. Adoptant une perspective "hégélienne" liée au modèle de l'économie standard, il expose la supériorité, théorique et pratique, du modèle libéral.

Avec State Building, son dernier ouvrage, une rumeur a vu le jour : Fukuyama serait devenu un défenseur de l'Etat, se serait réconcilié avec les institutions centrales au point de les juger indispensables, voire d'en faire "l'éloge"… Il faut, semble-t-il, lire ce livre, et cet éventuel renversement de perspective, comme une contribution de Fukuyama aux préoccupations très actuelles de l'administration américaine en matière de politique internationale ; particulièrement, à propos de la notion de "Nation Building".

Pour l'auteur, l'instabilité du monde est due à l'existence d'"Etats défaillants". La nécessité de se protéger justifie les orientations de la politique américaine, notamment l'idée de "guerre préventive". Il paraît alors indispensable de concevoir dans quelle mesure il est possible de construire des Etats plus stables. Fukuyama se distingue de la politique américaine en considérant qu'une intervention internationale ne peut avoir, raisonnablement, pour objectif de construire une Nation, qui est une œuvre historique, mais doit viser à construire des Etats plus efficaces. Il expose alors une série d'analyses pour préciser ce qui fait la force et la stabilité d'un Etat. Pour cela il insiste sur la distinction entre "scope" et "strength", entre l'étendue des fonctions de l'Etat et l'efficacité de ses institutions. Or c'est bien ce dernier élément, l'efficacité de l'Etat, qui doit être l'objet prioritaire des politiques nationales et internationales (ce qu'il nomme la capacity-building). C'est sur ce point qu'il se montre le plus critique, notamment contre ce que l'on a appelé le consensus Washington (qui visait à réduire le plus possible les dépenses des Etats en développement), qui, selon lui, a contribué à affaiblir de façon inconsidérée certains Etats, devenus potentiellement dangereux. C'est là que réside la principale critique de Fukuyama avec les modèles les plus ultra du libéralisme contemporain.

Reprenant la littérature sur l'étude des organisations, largement développée pour les entreprises privées, l'auteur admet l'idée qu'il n'existe pas d'organisation optimale, et donc de modèle universel, pour les institutions publiques. L'histoire, la culture, les valeurs partagées étant des éléments déterminants du bon fonctionnement des administrations, les politiques de construction et de renforcement de l'Etat doivent avoir pour cadre l'Etat-nation.

Au-delà de ces précautions, il reste que l'ambition théorique de Fukuyama présente un haut degré de généralité. Or c'est cette perspective qui marque les limites du propos. En effet, si l'histoire et la culture spécifiques de chaque Etat ou nation sont considérées comme des éléments essentiels, elles ne font jamais l'objet de considérations particulières. Plus encore, la défense de l'ordre international, piloté par les Etats-Unis, semble être la principale préoccupation de l'auteur. Dans son dernier chapitre, consacré essentiellement aux dissensions entre les Etats-Unis et une partie des pays de l'Union européenne, Fukuyama défend ainsi ardemment la position américaine. Selon lui, les européens sous-estiment l'instabilité et la dangerosité du monde, comme en témoigne le débat sur les armes de destruction massive détenues par l'Irak.

Ce point clé de sa démonstration et de sa défense de l'unilatéralisme américain doit être lu aujourd'hui avec attention : "Nul ne peut soutenir que, si un Etat construit des armes nucléaires et qu'il se montre déterminé à les confier à des terroristes pour les employer sur le territoire d'un autre Etat, ce dernier doive s'en remettre à des institutions internationales pour se défendre lui-même. En revanche, si cette menace est gravement exagérée, alors la réaction "préventive" des Américains risque à son tour de devenir une source préoccupante d'instabilité mondiale." (p.179)

L'éditeur ayant eu le souci de signaler que l'ouvrage a été "écrit avant que l'existence de ces fameuses Armes de Destruction Massive ne se fût révélée une supercherie orchestrée par l'administration Bush et relayée par le gouvernement Blair" (p.145), on ne peut être que pressé de lire le prochain ouvrage de Francis Fukuyama…

Guy Dreux
( Mis en ligne le 25/05/2005 )
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