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Génération offensée - De la police de la culture à la police de la pensée
de Caroline Fourest
Le Livre de Poche 2021 /  7,20 €- 47.16  ffr. / 155 pages
ISBN : 978-2-253-07820-3
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en février 2020 (Grasset)

Contre le recroquevillement identitaire

Caroline Fourest est éditorialiste et réalisatrice. Elle a écrit pour Charlie Hebdo et enseigné à SciencesPo sur la tension entre multiculturalisme et universalisme. On lui doit une œuvre importante de réflexion, de Frère Tariq au Génie de la laïcité en passant par La Tentation obscurantiste et La Dernière Utopie. Son premier film de fiction, «Soeurs d'armes», rend hommage aux combattantes kurdes.

Génération offensée relève de l'essai à charge. Féministe, lesbienne, anti-raciste et universaliste, Caroline Fourest argumente ici un point de vue de gauche contre les impasses et les pièges de la gauche identitaire, dont les concepts, venus des Etats-Unis, menacent aujourd’hui la France, et sont portés par la jeunesse actuelle : «Cette police de la culture ne vient pas d’un État autoritaire, mais de la société et d’une jeunesse qui se veut «woke», réveillée, car ultrasensible à l’injustice. Ce qui serait formidable si elle ne tombait pas dans l’assignation ou l’inquisition». L'auteure oppose ainsi à l'anti-racisme universaliste un anti-racisme identitaire faisant au final le jeu de l'extrême droite. «Les identitaires ne sont pas les nouveaux antiracistes, mais bien les nouveaux racistes».

C'est l'un des grands atouts de cet essai que d'expliquer ces phénomènes et leurs développements récents. Caroline Fourest définit et illustre ainsi des concepts contemporains ayant fait florès sur les campus universitaires américains, portés par «une jeunesse estudiantine assoiffée de radicalité pour faire oublier ses privilèges», mais aussi dans les médias, le monde des idées, les arts ; «appropriation culturelle», «micro-agression», «safe space», «identity politics», «intersectionnalité», «trigger warning», «white fragility», autant de notions qui sont définies, contextualités et déconstruites par l'auteure.

A travers plusieurs scandales et polémiques ayant défrayé la chronique aux Etats-Unis, et ce qu'elle a elle-même vécu en intervenant lors de conférences aux universités de Duke et Hollins, Caroline Fourest dénonce «l’épiderme, extrêmement douillet des nouvelles générations» et la compétition que peuvent se livrer des enseignants et des étudiants conscients que jouer la carte du genre ou de la "race" permet aussi de briguer une place rare et convoitée sur le marché victimaire... et universitaire. Elle explique que cette jeunesse, née après la «fin des idéologies» et à l'époque d'Internet, peinerait plus à construire une culture générale et nourrir une intelligence des contextes. «À force de vivre dans un monde décontextualisé, celui des réseaux sociaux, sans que l’université les éduque à l’esprit critique, ces jeunes sont d’une injustice anachronique».

Les débats autour de l'appropriation culturelle donnent lieu à un développement important, dans lequel Caroline Fourest s'inscrit en faux contre ces nouveaux censeurs. Ces derniers, selon elle, confondent pillage et partage, et ce qui fait l'essence de l'expression et de la communication, à savoir la connaissance, l'inspiration, l'hybridation et l'hommage. Elle identifie une dérive dans la banalisation d'un terme qui, à l'origine, dénonçait des procédés relevant d'une domination réelle ou même symbolique, ou encore de la recherche d'un profit. Il est aujourd'hui appliqué à tout, et donc liberticide.

Ces phénomènes sont aussi portés par nos nouveaux modes de consommation et d'expression, à commencer par Internet et les réseaux sociaux, où se déchaînent ceux que la philosophe Marylin Maeso, citée par Caroline Fourest, appelle «les conspirateurs du silence», relayés par des médias hyperactifs et sensationnalistes. Et par les réseaux de l’université américaine, qui ont formé une génération d’enseignants et d’élèves acquis à la «politique de l’identité». Ce phénomène structurel atteint aujourd'hui les universités françaises et européennes, par une sorte d'effet retour d'une French Theory métabolisée par la gauche identitaire américaine. Caroline Fourest dénonce clairement les actions des ''Indigènes de la République'', et, à l’université française, des personnalités comme Eric Fassin.

L'essai est court, clair, et synthétise efficacement les enjeux contemporains. Il est malgré tout parfois rapide. Concernant la notion de «White fragility» par exemple, Caroline Fourest voue aux gémonies le travail de Robin DiAngelo, par un discours de déni, contournement et déculpabilisation justement pointé du doigt par cette dernière. Ces réactions de défense ne permettent pas, elles non plus, d'avoir une conversation apaisée sur ces sujets.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 09/04/2021 )
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