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Crépuscule
de Juan Branco
Seuil - Points 2019 /  7,10 €- 46.51  ffr. / 262 pages
ISBN : 978-2-7578-8180-4
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en mars 2019 (Au Diable Vauvert)

Denis Robert (Préfacier)


En macronie...

Depuis quelques années, des essais aussi différents que ceux de Jean-Claude Michéa ou de Christophe Guilluy critiquent vertement le système libéral qui muselle la voix des plus pauvres, avec une remise en cause directe de la démocratie depuis au moins le vote de 2005. La crise des Gilets Jaunes et les grèves actuelles montrent que la révolte gronde de plus en plus. Juan Branco signe un pamphlet révélant toutes les stratégies de conquêtes et de prédation d'hommes politiques et de dirigeants de grands groupes. La cible est claire : Macron et son entourage.

Juan Branco est lui-même issu de l’élite, mais il s'en est séparé. Né en 1989 en Andalousie, fils du producteur de cinéma portugais Paulo Branco et de la psychanalyste espagnole Dolores López, il est avocat, universitaire, journaliste et homme politique. Sa carrière est fulgurante. Après une scolarité à l'école publique puis à l'École alsacienne, Juan Branco intègre SciencesPo Paris en 2007, où il est remarqué par le directeur, Richard Descoings. En 2009, il est admis à l'École normale supérieure (ENS) par la voie universitaire. Il entame un doctorat en droit international et philosophie du droit, puis est recruté au département de français de l'université Yale et collabore au Yale Journal of International Law. Conseiller juridique de WikiLeaks et de Julian Assange en France, il a été aussi l'avocat de Jean-Luc Mélenchon. Depuis, il perçoit le revenu de solidarité active (RSA), après avoir obtenu de confortables revenus. Un destin singulier !

Cet essai au vitriol fait suite à un premier texte nommé aussi Crépuscule, publié sur son blog, après un premier document en ligne intitulé Contre Macron, publié en juillet 2017. Le texte est ici remanié, avec une préface de Denis Robert. Il a fait une percée remarquée et est devenu numéro 1 des ventes. Mais les médias traditionnels l’ignorent... En réalité, le silence médiatique autour de cet essai dit déjà le fond de l'affaire. Si le livre était attaquable sur le fond, les grands journaux ne se seraient pas gênés pour le pourfendre, mais comme Crépuscule révèle la collusion plus qu'incestueuse entre le pouvoir politique et les médias, il n’est guère étonnant qu’il ne fasse pas tant de bruit...

Son atout n’est pas, comme chez les auteurs cités plus haut, de faire une analyse philosophique ou structurelle du système libéral, mais au contraire d’expliciter les rouages et les méthodes de manipulation communs aux milieux politique, d’affaires et médiatique. C’est sa limite cependant. Juan Branco met à nu le réseau réunissant ces noms : Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Xavier Niel, Bernard Arnault, Patrick Drahi, Stéphane Richard, Jacques Attali, Richard Descoings, Edouard Philippe et sa femme Édith Chabre, Jean-Pierre Jouyet, Alain Minc, Laurent Bigorgne, Nadia Marik, Ludovic Chaker, Ismaël Emelien, Mimi Marchand et quelques autres. L'auteur commence par Gabriel Attal, qui, le 16 octobre 2018, à 29 ans, est nommé par le Président de la République secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation, en charge de la jeunesse. C'est d'ailleurs à l'École alsacienne que Gabriel Attal fit aussi ses premières armes.

Branco met en lumière les privilèges, le népotisme et l’incestuosité propres à ce milieu. Par exemple, Xavier Niel, propriétaire de Free et actionnaire entre autres du journal Le Monde, vit avec Delphine Arnault, fille et héritière de Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, première fortune de France et d'Europe, ainsi que la 3ème fortune mondiale en 2019 selon le magazine Forbes. Les deux fils de ce dernier ont eu Brigitte Macron comme professeur de français lorsqu'ils étaient scolarisés au lycée Saint-Louis-de-Gonzague, dans le 16ème arrondissement de Paris. Inutile de rappeler que les deux hommes d’affaires ont appelé à voter Macron. Branco rappelle que Xavier Niel a échappé à toute condamnation sous le chef d’inculpation de proxénétisme comme principal actionnaire d’un réseau de peepshows, après avoir été déjà l’objet d’un redressement de plusieurs millions d’euros. Il est condamné à deux ans de prison avec sursis pour «détournement de fonds». C’est lui qui présentera la «célèbre» Mimi Marchand aux époux Macron. Cette dernière a été mariée à un gangster et à un braqueur, et a fait un séjour à la prison de Fleury-Mérogis.

Au bout d’un moment, on se rend compte que le réseau est constitué de quelques grosses personnalités qui règnent sur toutes les autres. De fil en aiguille, le réseau se densifie au point que le lecteur risque de tourner de l’œil. À l’évidence, il n’est nullement question de démocratie ici, ni de talent et encore moins de méritocratie ; on est dans l’entre soi, les renvois d’ascenseur, les stratégies d’alliance, et les compromissions… Un impressionnant eugénisme social.

On est d'ailleurs en droit de se demander si Juan Branco ne fantasme pas. Balzac (Les Illusions perdues), Maupassant (Bel-Ami), Léo Ferré même (Il n'y a plus rien) ont dit ces compromissions (voir aussi : Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion, Fils de et filles de…, La Découverte, 2015). Mais le présent essai n’accuse pas sans preuve... Branco a sans doute la dent la plus dure envers la quasi-totalité de la presse qui a tu ces compromissions pour dresser un portrait bleu-azur de l’accession d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, un homme surgi soi-disant de nulle part... Juan Branco raconte que Xavier Niel lui avait révélé en personne que Macron serait le prochain Président. Quand quelques journaux s'ébrouent (Médiapart, L’Express), c’est pour attaquer l'auteur personnellement ou pour faire croire que tout le monde était déjà au courant, mais sans discuter du fond. Pourquoi la presse n’a-t-elle pas joué son rôle de quatrième pouvoir ? Qu’en est-il de son indépendance ? Que l’on se rappelle les dizaines de unes consacrées au «phénomène Macron» et celle, «surréaliste» de Libération : «Faites ce que vous voulez mais votez Macron !».

Nos concitoyens les plus démunis voient partir depuis des années leurs ressources au point d'être acculés à des situations dramatiques. «La complaisance que les journalistes et hommes politiques ont manifestée à l’égard de ces puissants touche au malsain. Quelque chose ici commence à relever de la criminalité. Car ce sont dix à quinze mille personnes chaque année, selon l’Inserm, qui meurent d’un chômage de masse que nos dirigeants, du fait de leur adhésion à un système économique délétère créé pour favoriser leur carrière et les puissants, ne cessent d’alimenter depuis quarante ans», écrit Juan Branco qui ajoute : «On devinera les effets pervers d’un tel système, où l’ignorance faisant naître une motivation redoublée, les rares membres des classes défavorisées ayant réussi à se faufiler pourront se muer en défenseurs ardents d’un système qui écrase les leurs, mais qui leur aura offert la possibilité de se distinguer et de mettre à distance la misère qui les cernait».

Ces faits sont certes de toutes les époques, mais la doxa actuelle pose que ce monde corrompu est révolu, que la transparence est accomplie et que la démocratie est effective et triomphante. Il n'en est rien. L'élite monarchique a été remplacée par une autre petite cour à Matignon, plus hypocrite car recouverte du sceau de la démocratie et du droit de vote. Juan Branco reprend d'ailleurs l’accusation de Beaumarchais contre tous ces gens qui n’ont fait que naître et se faire la courte échelle pour accéder à de hautes fonctions... au détriment du Peuple.

La lecture de cet essai montre qu’il existe ce qu’on peut appeler un stalinisme libéral, qui censure, met à l’écart, brime tel opposant à l'idéologie dominante, et que ce libéralisme se sert aussi de l’État pour lui retirer ses propres attributions, tout en privant le citoyen de services publics. «Contrôler son image, c’est préserver son pouvoir, et cela explique à quel point l’on y investit de moyens. C’est surtout s’octroyer la possibilité de façonner celle des autres, et se donner dès lors une importance supplémentaire. Rompre l’omerta, même par ricochet, présente de grands dangers, un élément insignifiant pouvant déclencher un ébranlement généralisé».

Au-delà de toutes les anecdotes répertoriées, le pamphlet de Juan Branco rappelle quelque chose d’essentiel, déjà dit par Andersen dans Les Habits neufs de l'empereur : «Complotisme, ou intelligence au sens le plus factuel du terme, d’un système où tous tentent de s’aveugler pour nier le rôle qu’ils jouent en son sein, et les raisons pour lesquelles ils ont cessé de chercher, dans ces questions d’amitié qui pouvaient sembler insignifiantes, quelque chose qui pourrait compromettre l’intégrité de notre régime». Comme un remake de Citizen Kane (1941) aussi. On pourrait d'ailleurs appeler la cécité existentielle du pouvoir et des médias, le ''syndrome de Kane''.

La critique d’un tel système ne pouvait venir que de l’un de ses membres. À croire que les manifestations ou le droit de vote ne servent plus à grand-chose. Le vote de 2005, qui n’a pas été pris en compte par le pouvoir, n’en est que plus révélateur et donne raison à Juan Branco sur la corruption des élites. Certaines questions restent en suspens cependant, notamment sur Juan Branco lui-même. Étant donné que lui-même sort de cette oligarchie, malgré sa candeur et sa jeunesse, on peut légitimement se demander s’il n’est pas la marionnette d’un autre lobby... L’avenir le dira sans doute. Cet essai a néanmoins le grand mérite de dire que notre monde est en pleine mutation et en pleine incertitude. Romain Gary disait : «Il n’y a pas de démocratie, de valeurs concevables sans cette épreuve de l’irrespect, de la parodie, cette agression par la moquerie que la faiblesse fait constamment subir à la puissance pour s’assurer que celle-ci demeure humaine. Dès que la puissance cesse d’être humaine, elle interdit cette épreuve par le feu».

Ou par le silence...

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 06/01/2020 )
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