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Luc Ferry - Une comédie du pouvoir (2002-2004)
de Emmanuel Davidenkoff et Didier Hassoux
Hachette 2004 /  17 €- 111.35  ffr. / 218 pages
ISBN : 2-01-235778-4
FORMAT : 14x23 cm

Ferry-tocard ?

Quelle violence ! On reste abasourdi après avoir refermé l’ouvrage qu’Emmanuel Davidenkoff et Didier Hassoux consacrent à l’ancien ministre de l’Education Nationale. Le projet des deux journalistes de Libération était de faire le bilan des deux ans passés par Luc Ferry à la rue de Grenelle, mais également de tracer le portait d’un philosophe médiatique tenté par l’aventure politique.

Le constat que dressent les auteurs est sans appel : aucune réforme sérieuse, des manifestations incessantes, un dialogue impossible pour ne pas dire rompu avec les professeurs, les parents d’élèves, les étudiants, les personnels techniques et administratifs, les syndicats, les recteurs. L’origine de tous ces maux selon nos deux auteurs ? Luc Ferry lui-même, le ministre de l’Education Nationale issu de la société civile, fringant philosophe spécialiste de Kant, l’homme dont les états-majors politiques rêvaient de faire un Jack Lang de droite, l’homme qui devait réconcilier les intellectuels avec la même droite.

Pourquoi un tel échec ? On ne saurait rendre compte de tous les griefs avancés par les auteurs. Contentons-nous donc de quelques exemples, pêle-mêle : l’incapacité du ministre à se montrer à la hauteur de sa fonction, son incapacité à comprendre qu’une fois ministre, il ne saurait être question de s’exprimer «à titre personnel», mais que désormais l'Etat parle à travers lui, son parisianisme, son arrogance et son infidélité en amitié, sa fainéantise (même si les auteurs évitent soigneusement le mot), son refus de distinguer vie publique et vie privée et, disons-le, les frasques de son épouse, Marie Caroline, qui semble vraiment faire l’unanimité contre elle, etc. Bilan de cette expérience gouvernementale : «Deux années d’autisme étatique, avec Ferry».

A vrai dire, le lecteur se délectera sans doute de ce petit jeu de massacre, goûtant au passage les jugements à l’emporte-pièce et les bons mots des uns ou des autres. Ainsi, Laurent Fabius, à la tribune de l’Assemblée Nationale, en plein débat sur le port du voile à l’école, déclare : «Le ministre de l’Education, au travers de ses positions successives, apparaît comme un personnage original qui serait à la fois – et c’est flatteur de ma part ! - un personnage nouveau, fils de Molière et de Beaumarchais. Une sorte de Barbier ridicule» ; et Jacques Chirac d'ajouter dans une conversation avec à J.-P. Raffarin : «Ce type est irréparable. C’est un danger public […] il a le sens politique d’une huître». Bien souvent - c’est la loi du genre -, les flèches restent anonymes. Par chance, ici, les auteurs ne se nourrissent néanmoins pas exclusivement de bruits de couloir ; ils disposent également de l’impressionnant corpus d’interviews réalisées par le ministre, dont les extraits hauts en couleur truffent le volume.

Pourquoi un tel acharnement contre Luc Ferry qui dut - les auteurs le reconnaissent parfois, mais l’oublient bien souvent - endosser des choix et des arbitrages rendus à Matignon ? Au fil des pages, on finit par se demander si le reproche principal fait au philosophe n’est pas finalement le plus vil de tous : ne pas être issu du sérail, l’arrivée de François Fillon rue de Grenelle étant, apparemment, vécue par tous comme un soulagement et un retour au travail après cet intermède, cette farce, cette «comédie du pouvoir».

Ne pas maîtriser les règles élémentaires du jeu parlementaire quand on est ministre est certes un problème majeur, mais quand les critiques portent sur les rapports tendus entre Ferry et la presse, on se doit d’être plus circonspect. Le ministre dérogeait aux usages bien établis des relations du monde politique avec le «quatrième pouvoir» et s’insurgeait contre la dureté des journalistes à son égard. Faut-il pour autant conclure à son incompétence totale ? Le rapport aux médias est-il vraiment un critère pertinent pour juger de la réussite ou de l’échec d’une expérience ministérielle ? Tout cela tourne trop souvent au règlement de compte, au plaidoyer pro domo pour être pris au sérieux, quel que que soit le crédit qu’on accord aux faits rapportés.

En définitive, ce portrait acide, parfois à la limite de la haine, demeure plaisant à lire. Il semble toutefois avoir été écrit à la va-vite. C’est encore une fois la loi du genre, mais une lecture un peu plus attentive du discours de Jules Ferry cité en pages 168-169 aurait tout de même été souhaitable pour éviter un contresens interprétatif du plus mauvais effet : par «ancien régime» (sans majuscules), Jules, le lointain ancêtre de Luc, n’entend évidemment pas l’Ancien Régime, mais bien le système scolaire traditionnel, «l’enseignement fondamental et traditionnel du “lire, écrire, compter”» qu’il souhaite réformer et moderniser.

Raphaël Muller
( Mis en ligne le 27/10/2004 )
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