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Essais & documentset Pédagogie/Education  

''Nous, on n'aime pas lire''
de Danièle Sallenave
Gallimard - NRF 2009 /  11.50 €- 75.33  ffr. / 159 pages
ISBN : 978-2-07-012384-1
FORMAT : 14cm x 21cm

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à l’Université de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain.

Déchiffrer l’école

Pourquoi revient-elle aussi souvent, cette phrase : «Nous, on n’aime pas lire» ? C’est en tout cas quasiment le premier mot que les élèves du collège La Marquisanne à Toulon ont tenu à dire à Danièle Sallenave, lorsqu’elle s’est présentée à eux dans le cadre d’une opération menée par le Ministère de l’Education Nationale visant à faire rencontrer et travailler ensemble écrivains et collégiens. La Marquisanne est un de ces collèges comme il en existe tant en France : collège «ambition réussite», accueillant les enfants de la cité voisine (les enfants du quartier résidentiel tout proche préférant le privé…), ayant pour la plupart des parents issus de l’immigration. Milieu socioculturel et familial difficile, réflexes communautaristes, résultats scolaires médiocres malgré le dévouement sans faille des professeurs et de l’administration.

Danièle Sallenave dit vouloir décrire et analyser ce collège, si semblable à tant d’autres en France, à travers la question de la lecture, ou plus exactement du «désamour» pour la lecture, conformément à la sentence-titre qui lui a été lancée comme un avertissement. Pourquoi ce refus de la lecture ? Quelles en sont les origines ? Quels en sont les facteurs actuels ? Est-ce un mal ? Autant de questions que l’écrivain et dramaturge se pose face à ces élèves, par ailleurs si vifs d’esprit et si attachants. Il faut ici préciser une chose : Danièle Sallenave se situe explicitement, dans ses réflexions, dans le camp que l’on nomme parfois celui des «anti-pédagos» ; ces derniers déplorent une perte des exigences intellectuelles de l’école, notamment à cause des dérives de la pédagogie telles qu’elles ont été assénées pendant les trois dernières décennies par certains chercheurs en science de l’éducation (constructivisme, suppression de certains exercices, marginalisation de certains textes jugés trop difficiles et élitistes, pédagogie inductive…).

De cette position, Danièle Sallenave n’évite pas certaines facilités : balayer trop vite, le temps d’une ellipse qui appellerait plus de précisions, la littérature de jeunesse dans son ensemble (p.72), taper inutilement sur la linguistique ou la théorie littéraire, voire faire preuve d’un certain angélisme, et donc d’une certaine méconnaissance, vis-à-vis des réformes actuelles de la formation des professeurs. Plus généralement, d’aucuns ne manqueront pas de faire remarquer à l’auteur qu’elle expose davantage une opinion préexistante à cette expérience en collège plutôt qu’elle ne relate véritablement celle-ci et les conclusions circonstanciées qu’elle amène.

Néanmoins, bien souvent, les réflexions de l’auteur touchent juste, notamment lorsqu’elle évoque la racine des problèmes de ces adolescents qui seraient avant tout d’ordre socioculturel, ou lorsqu’elle tente de cerner le statut de l’école dans la société comme «exception», frêle grain de sable qui tente d’enrayer le torrent «capitalisto-médiatico-publicitaire» qui submerge souvent les consciences influençables des jeunes. Le point le plus intéressant réside dans le démontage d’un certain discours bien-pensant : ne plus faire lire certains textes ou ne plus exiger une véritable maîtrise de l’orthographe car ces enseignements seraient la marque d’une élite réactionnaire et le vecteur d’une domination de classe. Sallenave montre bien le paradoxe de cette position, relevant en fait d’une sorte de racisme culturel qui s’ignore (les banlieusards et les ruraux ne seraient pas capables de lire les mêmes textes que les fils de grands bourgeois). C’est justement en refusant l’accès de ces jeunes à ces savoirs, en leur déniant le droit de parler la même langue que ceux des «beaux quartiers», que les fossés entre les classes se perpétuent et s’agrandissent.

Danièle Sallenave répète souvent que rien ne sera facile à mettre en place, que tout reste fragile. Mais elle ne peut s’empêcher d’appeler à la «résistance» de l’école dans un monde toujours plus complexe et cruel, et de défendre son impérieuse nécessité. On pourrait reprocher à cet essai de manquer de structure d’ensemble et d’oublier bien souvent son point nodal (la lecture) au profit d’une succession de réflexions diverses sur l’environnement dans lequel vivent et sont éduqués ces enfants. Mais l’engagement de l’auteur nous touche, qu’on en partage ou non les présupposés. Nous touche également cet éloge final, discret, des jeunes professeurs du collège, qui chaque jour «dressent des barrages contre l’inacceptable». On aimerait que Danièle Sallenave nous parle plus longuement de leur travail. Ce genre d’éloge est si rare en ces temps.

Fabien Gris
( Mis en ligne le 14/01/2009 )
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