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Notre ennemi, le capital - Notes sur la fin des jours tranquilles
de Jean-Claude Michéa
Climats 2017 /  19 €- 124.45  ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-08-139560-2
FORMAT : 13,7 cm × 21,0 cm

Pour une ''décence commune''

En quelques années, Jean-Claude Michéa est devenu une référence par son analyse du système capitaliste dont il débusque toutes les ruses et montre les développements. Sa grande force est de revenir aux fondements du socialisme originel (Marx, Proudhon, Luxembourg) et de démontrer que ce que l'on appelle aujourd'hui la gauche n'est que la face culturelle du capitalisme qui, tout comme la droite, ne peut avancer que grâce à l'idée de Progrès (la croissance indéfinie). C’est cette cécité congénitale de la gauche culturelle devenue hégémonique, qui ne voit le libéralisme que comme une force opposée au progrès alors que celui-ci est «révolutionnaire» dans son développement et sa dynamique (la croissance indéfinie).

Drôle et diablement offensif, Jean-Claude Michéa part ici d'un entretien autour de quatre questions pour le site internet Le Comptoir, auquel il ajoute des notes et des scolies développant certains points, le tout dans un style clair et vigoureux, également très dense et fort d'une culture impressionnante. La thèse principale de Michéa est de rappeler que le capitalisme est plastique et qu'il détruit sans arrêt son antériorité. C'est sans doute ce qui dérange tout l'establishment médiatico-politique qui tente de classer l'auteur parmi les réactionnaires car son socialisme serait conservateur, cachant un retour en arrière (une sorte de retour du refoulé) vers des valeurs archaïques et rétrogrades. Pourtant, l'auteur revient sans cesse sur les différences structurelles entre libéralisme et socialisme.

Michéa rappelle que le socialisme originel n'a jamais visé ''l'épanouissement individuel'' mais plutôt l'établissement d'une société commune et décente (non atomisée). Pour les libéraux, l'individu serait "libre" et autonome (se fondant sur l'égoïsme individualiste, comme le rappellent Marx, Proudhon, etc), déconnecté de toute nature, en somme un individu abstrait, aussi immatériel que le ciel platonicien, alors que le socialisme (et le communisme) part du principe que tout homme est d'abord engagé dans un rapport social et naturel qu'il se doit de prendre en compte afin de ne pas utiliser autrui à ses propres fins (la ''décence commune'', dit Orwell).

Michéa a raison quand il évoque que le danger n'est pas l'Église catholique, le patriarcat et autres démons d'un autre âge (ce qui est mort est mort) mais la Silicon Valley qui ne cesse, grâce à ses hommes d'affaires issus des années 60 et 70 (moment libéral-libertaire), de promouvoir toutes les radicalités transgressives et progressistes (théorie Queer, droit des transgenres) qui nous mèneront peu à peu au ''transhumanisme'' et la subversion de toute l’anthropologie classique. Comme le formulait Margaret Thatcher au Sunday Times le 3 mai 1981 : «L’économie c’est la méthode. Mais notre but reste de changer le cœur et l’âme de l’être humain». Ces valeurs reposent inéluctablement sur l'égoïsme (l’épanouissement individuel), ce que l'on appelle maintenant le ressenti, exacerbé à l'ère du numérique et du selfie, et se servent comme repoussoirs des anciennes institutions (l'Église catholique, le patriarcat, etc.). Il y a ici toute une analyse admirable qui fait comprendre l'économie politique contemporaine et sa perpétuelle fuite en avant.

Michéa est tout sauf un dogmatique (ce qui serait anti-socialiste à ses yeux), et si ce nouveau livre s'intitule Notre ennemi, le capital, c'est pour rappeler l'idée principale du socialisme. Il le fait notamment à travers l'exemple du film Pride (2016) de Matthew Warchus. Il s'agit avant tout de refuser cet égoïsme libéral et l'inéluctable atomisation du corps social pour faire front commun contre l'ennemi réel (le capital et son développement progressiste), ce malgré toutes les positions divergentes et les modes de vie opposés qui peuvent exister entre des communautés différentes.

Pride, film souffrant de quelques facilités narratives, ne vise pas la défense de groupuscules progressistes post-modernes (même si le film sera récupéré par certains) mais rappelle, malgré l'existence de positions radicalement différentes, voire inconciliables, entre deux groupes (un groupe de mineurs et un groupe LGBT), qu'il est possible et recommandé de trouver des amitiés et de la chaleur humaine contre un ennemi commun sans que les lunettes idéologiques ne prennent le pas et ne renvoie chacun contre l'autre. Il s'agit là d'une altérité réelle, c'est-à-dire de comprendre et de dépasser les préjugés réciproques, malgré tout ce qui oppose ces groupes, pour considérer avant tout des êtres humains avec qui l'on peut discuter et s'allier contre ceux qui les exploitent et les utilisent pour des intérêts divers et variés (à l'époque où s'inscrit le film, il s'agit du gouvernement Thatcher).

Pour un lien fraternel et humain avant tout, et non comme il arrive trop souvent dans la réalité quotidienne, pour rompre et s'enfermer dans ses certitudes identitaires par des haines et des rejets appuyés, accentuant l'atomisation sociale et un égoïsme qui renforcent le système libéral... perdant les individus dans «les eaux glacés du calcul égoïste» (Marx).

À juste titre, Michéa conclut en disant : "C'est là, si on y réfléchit bien, l'unique «progrès» qui ait partout et toujours une valeur humaine et un sens politiquement émancipateur".

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 01/02/2017 )
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