L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Répression - L'Etat face aux contestations politiques
de Vanessa Codaccioni
Textuel - Petite encyclopédie critique 2019 /  12,90 €- 84.5  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2-84597-768-6
FORMAT : 13,0 cm × 19,8 cm

Surveiller et punir

Le petit livre de Vanessa Codaccioni, politologue et spécialiste des questions pénales, est d'une densité réflexive particulièrement intéressante par ces temps de violence et d'impunité policières, mais aussi de remise en cause de la légitimité du label «démocratique» pour qualifier les régimes dans lesquels vivent les citoyens européens.

Codaccioni synthétise un long travail d'étude de la répression, de la justice d'exception, des crimes politiques et racistes ou encore du terrorisme en démocratie. Elle montre comment les Etats dits démocratiques ont traité les divers mouvements de contestation illégalistes et comment ils ont construits des frontières à la fois entre ce qui est dicible, ce qui appartient légitimement aux débats, et ce qui ne l'est pas, tout autant qu'entre ce qui est admissible ou non en termes d'actions militantes.

En sus ou en renfort de la délégitimation, la stratégie dominante est depuis quelques années celle de l'invisibilisation de l'action de contestation politique illégaliste : il faut soit faire basculer l'action militante dans le crime ou le délit de droit commun, notamment en la faisant juger par des tribunaux correctionnels ou selon des procédures de comparution immédiate, soit la glisser dans la catégorie psychiatrique, soit enfin l'assimiler aux actes terroristes, de sorte que la gamme d'actions militantes disparaisse dans des régimes juridiques (et moraux) qui la rende à la fois inexistante aux yeux de la population et traitable par des régimes policiers et judiciaires finalement plus durs malgré le fait qu'ils impliquent la fin des justices d'exception qui offraient, au fond, une reconnaissance de la «noblesse» politique de l'action, une tribune à la contestation et une organisation pénitentiaire spécifique. Soulignant cet aspect, Coddacionni rejoint le travail sociologique de Boltanski qui classait dans De la Justification les régimes argumentatifs légitimant ou délégitimant les registres de discours politiques, quoique le sociologue passait complètement à côté de la question de la subversion et de la manipulation institutionnelle de ces registres.

L'auteure cite quelques-uns des crimes imputés visant à correctionnaliser les activistes : outrage, diffamation, entrave à la circulation, sabotage, violation de domicile ou même exhibition sexuelle (le cas des seins nus des militantes de Femen !) et montre qu'à l'autre bout (de moins en moins éloigné) de l'échelle des actes répréhensibles, des actions comme des séquestrations lors de grèves ou d'atteintes aux personnes assez bénignes (la fameuse chemise déchirée lors d'une grève à Air France) sont traitées avec une dureté judiciaire et des discours qui tendent à les assimiler à des actes extrêmement violents, voire terroristes. Certaines actions de solidarité, comme celle de Cédric Hérou qui aidait des migrants affamés et pétris de froid, sont mêmes décrédibilisées et punies, comme si le système pénal créait un nouvel ordre des valeurs, une nouvelle gradation morale des actes - dans lesquels les médias dominants jouent un rôle infiniment malsain, qui interagit avec les politiques d'Etat de manière étonnamment coordonnée, cohérente, fonctionnelle, presque automatique, ce que Codaccioni n'étudie pas et, peut-être, sous-estime.

La répression elle-même a changé, pas seulement parce qu'elle s'étend à un spectre de plus en plus large de groupements et de revendications, mais aussi parce qu'elle convoque des moyens qui se trouvent chaque jour davantage en amont des actes prohibés : elle devient préventive et administrative ; au travers de l'état d'urgence, du fichage systématique (fiches S ou fijait), des contrôles et filtrages avants évènements, des gardes à vue prolongées (et dans quelles conditions d'humiliation, de déshumanisation !), des interdictions de séjours ou des assignations à résidence, des contrôles judiciaires (qui ajoutent un nouveau délit possible – ne pas s'y soumettre - au délit initial) pendant certaines périodes, dans certains lieux ou durant certains évènements, elle devient une opération de contrôle de populations, de territoires ou d'activités à risque.

Codaccioni oublie au passage un important arsenal répressif des idées, comme les lois mémorielles qui sont contestables quant à leur opportunité, leur résultat et leur logique de confusion entre l'histoire et la mémoire, ou encore les lois qui condamnent la contestation de l’avortement : le champ des délits d'opinion semble bien destiné à s'étendre. Comme elle ne place pas son analyse dans une perspective plus historique, elle ne perçoit pas la réelle ambiguïté qu'il peut y avoir dans les actes relevant du droit pénal commun : dans son extraordinaire ouvrage Les Pendus de Londres. Crime et société civile au XVIIIe siècle (Lux, 2018), l'historien Peter Linebaugh montrait que, de même que d'autres crimes ou délits de droit commun, s'évader de prison, dans le contexte des workhouses de la révolution industrielle anglaise, était un acte avec une connotation voire une portée politique, parfaitement perçue dans l'univers mental du petit peuple. Elle ne perçoit pas non plus un aspect pourtant essentiel de l'invisibilisation des combats contestataires : le fait que les idées qu'ils défendent sont destinées à être perçues comme hors des limites du bon sens, de l'évidence.

Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 24/05/2019 )
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