L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

La Sauvegarde du peuple - Presse, liberté et démocratie
de Edwy Plenel
La Découverte - Cahiers libres 2020 /  14 €- 91.7  ffr. / 201 pages
ISBN : 978-2-348-05584-3
FORMAT : 12,7 cm × 19,1 cm

L'oeil scrutateur du citoyen ou l'allégorie de la démocratie

L'auteur, directeur et fondateur de Mediapart, exhume une phrase prononcée par le député Jean-Sylvain Bailly, premier président de l'Assemblée Nationale autoproclamée en 1789, en recherchant l'origine première de cet aphorisme : "La publicité est la sauvegarde du peuple". Le journaliste précise : "A peine proclamée, cette sentence devint populaire. Elle fut l'emblème de la liberté de la presse naissante, dans le bouillonnement des prémices d'une Révolution qui fut aussi une révolution du journalisme. A l'automne 1789, elle ne figurait pas seulement en exergue de journaux, mais aussi sur les médailles de bronze attribuées aux colporteurs de presse, où elle entoure le symbole de la vigilance démocratique : un oeil grand ouvert d'où partent des rayons de lumière».

Autant le dire tout de suite, l'ouvrage d'Edwy Plenel vise principalement à réhabiliter le droit à l'information des citoyens, notamment en l'opposant de manière quelque peu artificielle au droit de vote. Ces deux formes fondamentales des régimes démocratiques s'avèrent pourtant bien des facettes indissociables de la liberté d'expression et d'opinion en général, qui fondent la démocratie libérale. Plenel cherche à réhabiliter Bailly, comme figure révolutionnaire, premier Maire de Paris, qui proclama une vérité fondamentale du processus de politisation en cours lors des journées révolutionnaires : "Ces mots de 1789 me semblaient comme un étendard qu'il nous revenait de brandir, à la manière d'une troupe qui se doit de relever un drapeau tombé sur le champ de bataille".

L'ouvrage se présente malheureusement tour à tour comme un pamphlet anti-gouvernemental, une ode à la liberté absolue de la presse, sans mentionner les risques de l'exagération de l'exercice même de cette liberté et sur le pouvoir des journalistes ou des médias en général, et un bréviaire d'auto-promotion du journal en ligne Mediapart. Si le thème de départ et la phrase de Bailly recèlent effectivement un enjeu et un intérêt majeur dans la société démocratique, notamment à l'heure du numérique, le lecteur peine à trouver le fil et l'intérêt de la recherche de l'origine de cette phrase, mêlant mise en scène personnelle et comparaisons parfois hâtives entre la période de 1789 et la nôtre.

La propension à la polémique et la plume bien acérée de l'auteur l'amènent à user d'expressions parfois outrées : "La France gouvernementale ignore dédaigneusement, comme n'importe quel régime autoritaire, les mises en garde des défenseurs des droits humains les plus officiels, de son propre Défenseur des Droits, qui a demandé en vain la suppression de l'usage des LBD (Lanceur de balles de défense) durant la crise des Gilets jaunes en 2018-2019". Plenel cherche de manière systématique à régler ses comptes avec le Président de la République et la Ve République qui a généré un régime présidentiel. Toutefois, si la France dispose actuellement d'un régime centralisé et vertical, il ne peut absolument pas être considéré à l'échelle européenne ou mondiale comme un régime autoritaire et ce en dépit de l'existence de violences policières. Par ailleurs, si le Gouvernement et l'exécutif actuel peuvent avoir des tendances caporalistes, cela traduit davantage une faiblesse intrinsèque dans un régime d'opinion plutôt qu'une force dont ils pourraient user uniquement à leur avantage.

Le livre aborde le rétrécissement des institutions démocratiques de contrôle du Gouvernement en général. Il recouvre, sans véritablement la toucher, une doléance profonde de la société actuelle pour une ouverture et une participation directe aux organes de délibération et de décision, qui n'a effectivement pas été suffisamment prise en compte par les hommes politiques jusqu'à ce jour. Plenel fait l'éloge de la liberté totale de la presse à une époque d'explosion de libertés et capacités individuelles d'expression à l'échelle mondiale via les outils numériques, qui peut également conduire à la prolifération des idées radicales, aux multiples entreprises organisées de désinformation et de manipulation des consciences indépendamment des seuls Etats et gouvernements. Edwy Plenel évoque l'arrêt Handyside de 1976 de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) qui réaffirme le principe de la liberté d'expression y compris pour des idées ou expressions qui peuvent choquer les Etats ou les sociétés. Il aurait pu évoquer également l'arrêt Haes et Gijsels de 1997 de la même institution, soulignant que la liberté d'expression des journalistes "comprend le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation", ce dont il use largement. Il convient de savoir si cette interprétation de la liberté d'expression s'avère compatible avec le rôle éminent d'oeil du peuple, ce dernier disposant de moins en moins de temps pour effectuer le travail critique et se forger une autonomie de pensée dans un environnement économique toujours plus prenant. Plenel écrit : "(...) les procureurs du numérique, qui n'y voient que le règne de bêtes sauvages ou l'avènement d'un abrutissement général, expriment par cette caricature, leur refus du partage du savoir et, donc du pouvoir". Le journaliste pense que le territoire d'Internet doit être rendu transparent et libre pour les citoyens et non pas soumis aux pouvoirs des GAFAM, des Etats et de certains groupes économiques. Il relate les tentatives d'encadrement ou de limitation de la liberté de la presse depuis la Révolution tout en semblant regretter le nécessaire équilibre entre liberté et ordre public.

L'ouvrage déduit de la primauté de l'élection sur la liberté d'expression une forme de dégénérescence démocratique, ce qui s'avère une interprétation abusive. Si l'involution démocratique est incontestable de nos jours (cf. l'ouvrage de Yascha Mounk, Le Peuple contre la démocratie), ce n'est pas en stigmatisant la démocratie représentative au seul profit d'une providentielle démocratie directe rendue possible par la révolution numérique, que la "solution" pourra survenir. Il serait davantage utile de refonder une représentativité politique plutôt que de vouloir jeter tout "libéralisme" d'un régime qui pourrait alors passer d'un excès à l'autre.

La phrase de Bailly prend durant les années révolutionnaires "la tournure d'une expression commune". Plenel se veut historien amateur à ces heures, et écrit : "Or c'est la liberté de la presse qui fut l'argument des Trois Glorieuses (Chute de Charles X les 27,28,29 juillet 1830), la raison de l'émeute et la cause du sacrifice". Ici, on retrouve l'amateur de... raccourcis car si la liberté de la presse participe de cette révolution, elle n'est absolument pas le seul motif ; Charles X a également cassé les récentes élections et réduit le corps électoral via ses ordonnances, voulant se libérer de la charte, ce qui participe activement à la mise en révolte du peuple en 1830.

L'auteur aborde une autre Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, celle du 16 septembre 1789, adoptée par le Congrès de Polleur (en Belgique actuelle, où il a séjourné) qui serait selon lui plus démocratique que celle du 26 août 1789. Les historiens professionnels ont déjà démontré que la Révolution française s'inscrit dans un temps révolutionnaire et libéral mondial et européen. Au final, on apprend que la phrase de Bailly a été prononcée par lui lors du comité des subsistances du 13 août 1789. Puis Plenel, oublie à nouveau la Révolution pour revenir au présent et dénonce le pouvoir corrupteur du libéralisme autoritaire par-delà les siècles dont la radicalité (sic) démocratique serait le seul antidote. Le fondateur de Mediapart exhale une défiance vis-à-vis de la démocratie libérale et du libéralisme en général y compris sa composante politique pourtant largement anti-autoritaire. Il termine son propos par un hommage bienvenu au journaliste saoudien Jamal Khashoggi, torturé et assassiné le 2 octobre 2018 par un authentique régime autoritaire.

Ainsi, cet opus apparaît comme décevant, trop décousu et quelque peu auto-centré sur la personnalité de l'auteur ce qui nuit fortement à son propos. On peut regretter qu'Edwy Plenel n'ait pas axé uniquement son essai sur la période révolutionnaire qui reste passionnante du point de vue de la liberté de la presse et de la politisation des citoyens. Malgré une plume alerte et habile, et un talent certain de conteur, une recherche historique succincte mais pertinente, l'auteur ne parvient pas à se départir d'une propension à la polémique et à la joute verbale et idéologique, qui s'avère davantage le propre d'une publication de parti plutôt que d'un journalisme "citoyen". Celui-ci, fondamentalement critique, cultive une indépendance qui doit parfois aller jusqu'à questionner ses propres convictions. Une lecture engagée mais insuffisamment argumentée, sujette aux raccourcis et anachronismes (le pêché des historiens "professionnels"), souvent un peu ampoulée et au final pas vraiment convaincante.

Dominique Margairaz
( Mis en ligne le 22/04/2020 )
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