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Sortir de l’ère victimaire - Pour une nouvelle approche de la Shoah et des crimes de masse
de Iannis Roder
Odile Jacob 2020 /  21,90 €- 143.45  ffr. / 213 pages
ISBN : 978-2-7381-5075-2
FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm

Le rôle civique de l’histoire

La Shoah figure dans les programmes scolaires depuis plus de 30 ans, elle est très présente dans le discours public où elle est devenue une référence souvent écrasante, mais elle est finalement mal connue, et surtout mal comprise. Pour Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-saint-Denis et responsable des formations au Mémorial de la Shoah, le constat est clair : l’enseignement de la Shoah est un échec.

Le ministère de l’Éducation nationale, les enseignants, les médias, la classe politique, se sont trompés en usant et abusant de l’injonction moralisante, le fameux et fumeux «devoir de mémoire», en choisissant une approche par les victimes et par l’émotion, et en multipliant les raccourcis dangereux et les comparaisons maladroites qui font de la Shoah le maître-étalon de tous les malheurs du monde. En faisant cela, ils ont involontairement renoncé à expliquer l’événement, à le contextualiser, à en faire comprendre à la fois la spécificité, mais aussi ce qui le rapproche de tant d’autres processus historiques. Le paradoxe est donc celui d’un événement omniprésent, sentinelle sourcilleuse du «Plus jamais ça», qui nourrit son propre rejet chez une partie des élèves ne comprenant pas pourquoi on leur rabâche encore «le truc des juifs», qui entretient une très malsaine concurrence des victimes. Cela n’a pas empêché que, depuis le début du XXIe siècle, s’affiche à nouveau un antisémitisme décomplexé, et qu’en France, on attaque, torture et tue des gens parce qu’ils sont juifs.

Iannis Roder sait que l’histoire et son enseignement scolaire ne peuvent pas tout, qu’ils ne «sont pas le vaccin définitif dont nous avons rêvé», mais il est convaincu qu’ils ont un rôle à jouer et qu’il doivent être mieux utilisés. Après le constat, il se lance donc dans les propositions pour sortir l’enseignement de la Shoah du confort moralisant dans lequel il s’est installé et où il s’épuise. Les deuxième et troisième parties du livre sont une sorte de guide destiné à tous ceux, en particulier les enseignants, qui veulent réfléchir différemment à la Shoah. L'auteur propose d’abord de voir la Shoah comme un processus politique, inscrit dans un contexte, celui de la guerre, et dans une histoire, celle de l’antisémitisme, qui est souvent cité mais rarement expliqué, et mis en œuvre par des hommes, dont il faut analyser les motivations et les ressorts du passage à l’acte. Et pour que la Shoah ne soit pas «le truc des juifs» qui d’emblée braque tant d’élèves contre son enseignement, il appelle à multiplier les comparaisons avec d’autres génocides et crimes de masse, pour monter que, si chacun à ses logiques propres, ils partagent nombre de points communs, et que chacun concerne l’humanité dans son ensemble.

Il appelle ensuite à remettre en cause les pratiques et les certitudes en s’interrogeant sur l’intérêt des voyages à Auschwitz, lieu le plus emblématique, mais aussi le plus difficile à comprendre et, de ce fait, source de beaucoup de confusions dans les esprits mal préparés et mal informés, en faisant preuve de prudence avec le concept de «banalité du mal», ou en ne cédant pas à la facilité de s’en remettre à l’émotion, que ce soit celle issue de films ou de témoignages, au lieu d’expliquer.

L’essai de Iannis Roder est dense, précis et stimulant. Parfaitement maître de son sujet et d’une réflexion qu’il a construite depuis longtemps, toujours nuancé et équilibré, il appelle à repenser l’enseignement de l’histoire, en le fondant sur une approche politique, dans un but politique, celui de la formation civique des élèves, au service de la démocratie.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 16/09/2020 )
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