L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Eloge de la simplicité volontaire
de Hervé René-Martin
Flammarion 2007 /  18 €- 117.9  ffr. / 275 pages
ISBN : 2-08-120069-4
FORMAT : 13,5cm x 20,0cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).

Un essai sur l’écologie en actes

Voilà un personnage original dans la galaxie altermondialiste. Dès les premières pages, l’auteur annonce la couleur. Plutôt que d’étaler agrégation et doctorat, il met en avant sa pratique d’ancien enseignant de karaté, et dénonce l’imposture des intellectuels, économistes et spécialistes en tous genres qui, à longueur d’année, cherchent davantage à légitimer le système capitaliste globalisé qu’à nous aider à le comprendre. Hervé-René Martin, auteur de romans érotiques, est un produit assez typique de la révolution de 68. Enfant insouciant des Trente glorieuses, il est, au début des années 2000, rattrapé dans ses rêveries par la spéculation foncière qui l’évince de la maison varoise qu’il louait. Il a dû alors non seulement penser en profondeur le système social mondialisé dans lequel nous sommes immergés, mais aussi réfléchir à des issues possibles.

Le premier quart du livre est une diatribe musclée contre la société de consommation, la marchandisation des rapports humains, la destruction de la nature, qui, dans ses meilleurs passages, n’est pas sans rappeler le pamphlet Vivre et manger comme des porcs du regretté Gilles Châtelet. On sourit à chaque page de ce réquisitoire astucieux et souvent très pertinent, bien que, par moments, ses excès suscitent une certaine méfiance – sommes-nous vraiment dans un monde où plus personne ne peut se passer de son portable et où l’on ne fait plus de ballades en montagne sans GPS comme il le laisse entendre ? Les bonnes sources sont mobilisées – de Pasolini à Polanyi –, les bons constats aussi (par exemple sur la soumission du monde rural développé et du tiers-monde à l’alternative : prostitution touristique ou stockage des déchets des cités riches ?).

Puis vient la phase programmatique. Contre les propositions macro-économiques d’un Ignacio Ramonet – dont la didactique à ses yeux revêt un côté trop scolaire –, Martin plaide pour une sorte de micro-politique du quotidien à la Deleuze, dont il nous livre une description très suggestive à travers le journal de la construction de sa maison familiale en terre et en paille, dans la haute vallée de l’Aude. Le récit de ce chantier est celui d’une transformation de soi, et de la relation à autrui, à travers un travail commun sur la matière, celui de la découverte du plaisir de concevoir et d’éprouver les possibilités du corps dans les tâches manuelles en dehors de toute relation marchande avec les professionnels du BTP. A mesure que montent les murs et que s’installe l’électricité, Martin se réfère encore aux bonnes plumes – Illich, Latouche, Fukuoka – et montre au passage combien l’Etat, qui, tout comme les multinationales polluantes, se veut protecteur de l’environnement, pousse, par sa réglementation, à la consommation d’énergie et de matières premières, et prélève sa dîme au passage, via la TVA, au même titre que les professionnels. Le constat rejoint celui d’Alain Badiou récemment dans Le Siècle : tout bouge pour que rien ne bouge, l’acquisition et l’entretien d’une voiture coûtent plus en temps de travail annuel qu’ils ne font gagner en temps de déplacement, la circulation des produits d’un continent à l’autre, tout compte fait, ne rapporte à la société que stress, pollution, aliénation de l’existence humaine. Le progrès n’est plus rationnel. Il est devenu une religion, une forme d’obscurantisme au service de la spéculation économique. Les dissidents sont marginalisés, traités comme des hérétiques. Martin soulève les questions qui fâchent : quel est le véritable bilan sanitaire, en termes de cancers notamment, de l’agriculture chimique ? Le tapage médiatique autour de la grippe aviaire n’a-t-il pas pour unique objet de détruire les petits éleveurs de volaille en Europe et dans le tiers-monde ?

On peut cependant se demander si la force de conviction de l’auteur ne le fait pas, lui aussi, par moments, verser dans une forme d’obscurantisme. Ainsi, s’il reconnaît dans le soleil la seule source d’énergie possible à long terme, il oublie de mentionner son extinction certaine dans quelques milliards d’années, perspective qui précisément justifie auprès des radicaux du camp opposé (les transhumanistes) la volonté d’arracher aussi vite que possible l’humain à son appartenance terrestre. Que penser du fatalisme qui pousse Hervé René Martin à dénigrer les expériences visant à détourner de leur trajectoire les astéroïdes capables de détruire la Terre au motif que «ça ne marchera jamais» ? Sa technophobie ne se retourne-t-elle pas ainsi contre sa volonté initiale de sauver la planète ? Que dire aussi de sa critique de la division sociale du travail ? Prise trop à la lettre, ne rejoint-elle pas, bien que Martin s’en défende, une forme dangereuse de passéisme ? Cette question qui a longtemps opposé divers courants de l’anarchisme aurait mérité d’être explorée plus avant.

On peut aussi s’interroger sur le parti pris anti-politique de l’auteur, dont l’histoire remonte aux communautés utopistes du XIXe siècle. De l’Etat chien-de-garde du capitalisme, et VRP des multinationales, tout entier accaparé par la société de spectacle, il n’y aurait rien à attendre. L’avenir reposerait sur un sursaut de conscience des associations de citoyens qui, à la base, peuvent se frayer des alternatives dans les interstices du système… Jusqu’au jour où, bien sûr, pour cause de guerre ou de pénurie quelconque, le système ne le permet plus – ou jusqu’au jour où l’expérience prend fin, écrasée sous le poids de ses contradictions internes, qui se manifestent toujours plus tôt qu’on ne le pense. Peut-être y a-t-il encore dans cette radicalité du refus des compromissions (qui, par exemple, pousse Martin à condamner la plainte des Inuits d’Alaska devant l’Organisation des Etats américains contre la politique énergétique des Etats-Unis) une forme assez subtile d’illusion bourgeoise.

L’ouvrage constitue en tout cas un apport très précieux à la réflexion de tous sur l’avenir de notre écosystème, de son exploitation économique et des conséquences de toutes natures sur le fonctionnement humain. Un sujet dont il faut s’emparer maintenant, avant que l’urgence ne contraigne notre espèce à des choix hâtifs et irrationnels.

Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 30/03/2007 )
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