L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

L'Effroyable imposture 2 - Manipulations et désinformations
de Thierry Meyssan
Editions Alphée – Jean-Paul Bertrand 2007 /  21.90 €- 143.45  ffr. / 396 pages
ISBN : 978-2-7538-0239-1
FORMAT : 14,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).

Contre-enquêtes sur le Proche-Orient…

Les travaux de Thierry Meyssan sur les attentats du 11 septembre 2001 parus sous le titre L’Effroyable imposture, ont suscité de nombreuses controverses et provoqué la mise à l’index de leur auteur par les grands médias français, après sa brève apparition dans une émission télévisée de Thierry Ardisson. Ses thèses ont cependant assuré au journaliste et à son équipe – le Réseau Voltaire – un succès important à l’étranger. Cette année, Thierry Meyssan publie une nouvelle série d’enquêtes sur des sujets qui furent au cœur de l’actualité proche-orientale (et donc de l’actualité tout court) au cours des quatre dernières années.

Ce livre, qui repose sur un travail d’investigation manifestement ardu, se dévore comme un roman. Bien que moins spectaculaire et audacieux que les thèses avancées autour du 11 septembre – car, au fond, son nouveau sujet était plus accessible à l’investigation journalistique contradictoire que le précédent -, il n’en reste pas moins édifiant : les croyances communes du grand public européen sont battues en brèche sur le Hezbollah libanais, l’interdiction de la chaîne Al-Manar en France, l’assassinat de Rafik Hariri, le nucléaire iranien.

Certes Meyssan est un homme de parti pris. De retour de son terrain d’enquête, il le confesse lui-même : «Je ne pouvais pas rester insensible à ce que j’ai vu. Je pense fondamentalement que chacun d’entre nous a une responsabilité devant les drames qui nous entourent. Je prends dès lors une position que j’explicite». Mais ce parti pris rejoint très souvent celui du bon sens lorsque par exemple il se refuse, à la différence des grands médias occidentaux, à mettre sur le même plan d’une part le pilonnage systématique par Israël d’une surface de 700 kilomètres carrés au Liban jusqu’à ce qu’il n’y reste plus pierre sur pierre, l’anéantissement des infrastructures d’un pays, résultat d’un plan d’agression délibéré, et d’autre part les quelques victimes civiles israéliennes des tirs de requêtes de représailles du Hezbollah.

L’auteur est aussi un homme qui a le sens de l’Etat et de la politique. Quand il expose les stratagèmes des alliés de Washington, et dissipe le rideau de fumée informationnel qui les recouvrent, c’est dans le souci de revenir aux fondamentaux de la science politique et de la diplomatie : «un art subtil où chaque acteur doit être d’autant plus prudent qu’il a beaucoup à perdre», où chaque Etat (y compris les Occidentaux) «entretient plusieurs fers au feu le plus longtemps possible», où «le triple jeu est la règle, non par hypocrisie mais par nécessité stratégique» (p.8). Il n’est guère étonnant, du reste, que le journaliste dédie son livre à son grand père, colonel et observateur militaire des Nations-Unies au Liban. C’est la tradition d’un regard militaire que perpétue le travail d’investigation de Meyssan, avec son sens aigu du réalisme, et peut-être aussi du courage et de l’honneur.

Le résultat de cette recherche importante est un exposé factuel, précis, hautement instructif, et utile au débat de notre époque. On signalera notamment à l’attention des lecteurs l’éclairage historique sur les racines protestantes anglo-saxonnes (depuis Cromwell) du projet de faciliter le retour des Juifs en Terre Sainte, projet solidaire d’une eschatologie religieuse à laquelle la France catholique ou laïque n’est guère familiarisée, et que Thierry Meyssan, en bon radical-socialiste, ne pouvait manquer de pointer du doigt. La production des cartes du redécoupage du Proche-Orient envisagé par certains stratèges états-uniens est aussi riche d’enseignements sur les ambitions que favorise l’actuelle suprématie militaire du Pentagone.

Le livre, comme la plupart des investigations «à chaud», comporte des aspects critiquables. Emporté par l’élan de ses démonstrations, l’auteur omet un peu trop souvent les notes de bas de page, ainsi que la citation de ses sources (dont on conçoit toutefois qu’elles doivent parfois rester secrètes). Ainsi Meyssan peut-il légitimement accuser sans renvoi à aucun document ni témoignage (même anonymisé) un ancien président d’avoir fait empoisonner son épouse (p.32), les services secrets israéliens d’avoir planifié un attentat contre un colonel libanais (p.136), des snipers israéliens d’avoir organisé une fusillade à Abidjan le 7 novembre 2004 ? Et, sur le fond, un lecteur prudent tiquera sur certains raccourcis comme celui qui consiste à identifier trop rapidement la politique du Conseil supérieur de l’Audiovisuel aux seules inclinations personnelles de son président en exercice, ou le saut périlleux idéologique qui conduit à voir dans la visite du Premier-ministre sud-africain en Israël, en 1976, les prémisses de l’organisation d’un «bantoustan» sioniste au Sud-Liban (l’occupation du Sud-Liban n’est-elle pas plutôt une occupation militaire «classique» d’un pays étranger voisin, comme celle du Cambodge par le Vietnam, sans grand rapport avec le système complexe de confiscation du pouvoir de la majorité à l’intérieur des frontières que constituaient les Bantoustans ?).

Sans doute ces petits problèmes formels, et des questions plus substantielles de fond sur les stratégies des protagonistes des guerres du Proche-Orient nourriront-ils des discussions pointues entre spécialistes. Mais le présent ouvrage de Meyssan a au moins le mérite de lancer un pavé dans la marre d’une thématique trop souvent verrouillée par une «pensée unique». En livrant une lecture engagée, mais claire et stimulante, il aide à démêler l’écheveau d’un actualité médiatique confuse et orientée, et permet au lecteur-citoyen de reprendre pied dans son époque, pour poursuivre par lui-même sa réflexion sur l’avenir d’une région du Globe où se joue une bonne part du destin commun de l’humanité.

Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 29/06/2007 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)