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Gainsbourg sans filtre
de Marie-Dominique Lelièvre
Flammarion - Pop culture 2008 /  18 €- 117.9  ffr. / 283 pages
ISBN : 978-2-08-069004-3
FORMAT : 13,5cm x 21cm

Quinte de toux

Serge Gainsbourg fait couler de l'encre et vendre du papier depuis plusieurs décennies désormais. Sa mort n'a rien changé à l'affaire, au contraire. Les hagiographies ont succédé aux hommages, et l'on a décoré un cadavre qui n'avait rien fait non plus pour éviter l'embaumement.

Au sommet (provisoire) de la pile de publications s'attachant à celui qu'il est désormais de bon ton d'appeler un mythe, Marie-Dominique Lelièvre ajoute ce Gainsbourg sans filtre et propose pour son sujet la dénomination de «hyper-héros hexagonal». Pourquoi pas, a priori. Mais pourquoi, en réalité, cette sortie d’un énième titre sur le bonhomme, dont le grand public connaît tous les passages obligés, où les fans n'apprendront que d'insignifiants détails, et qui ne sera évidemment pas lu par ceux qui s'en désintéressaient déjà auparavant ?

Parce que, nous répond l’auteur, l'heure n'est plus aux hagiographies, qu'elle a réalisé une enquête approfondie et qu'elle va révéler la vraie personnalité de celui qui avant de s'affubler du costume de Gainsbarre s'était déjà inventé le personnage de Gainsbourg. Plus certainement parce que le papier se vend toujours, même couvert d'une encre sèche depuis longtemps. En effet, même si cela n'est pas explicitement mentionné dans l'ouvrage, il s'agit de la réédition d'une parution de 1994. Depuis, le nom de l'auteur a pris davantage de relief ; c'est notamment l'occasion de surfer sur le succès de sa biographie de Sagan. Marie-Dominique Lelièvre s'est contentée d'ajouter une introduction persifleuse qui éclaire sur ses intentions.

Car c'est bien là le problème, la lecture donne rapidement l'impression d'un portrait à charge, de vouloir faire vaciller la statue sur son piédestal, voire de cracher sur un macchabée. Cela aurait certainement un intérêt, ne serait-ce que d'équilibrer les positions des zélotes, si c'était fait de manière convaincante. Mais en l'occurrence «l'enquête» donne plutôt l'impression d'avoir consisté à compiler les éléments bibliographiques dans l'ouvrage de Gilles Verlant, qui fait référence en la matière ; à fouiller les poubelles pour ajouter des détails racoleurs, en exhibant feuille d'impôts ou note de restaurant (seul document reproduit dans ces pages, sic) ; et à ajouter quelques jugements à l'emporte-pièce sur le personnage, son oeuvre ("Les chansons les plus célèbres sont les plus nulles", p.201) ou ses contemporains, pour (se) donner l'illusion d'un avis propre. Gainsbourg apparaît alors comme un petit Juif traumatisé par sa jeunesse, et un pianiste médiocre, qui a construit sa carrière sur le calcul et l'opportunisme, manipulant femmes, musiciens et collaborateurs.

On ignore quelle tenace rancune peut pousser à cette opération vengeresse, mais voir suinter un tel mépris de ces pages tend plutôt à faire prendre parti pour Gainsbourg, d'autant plus si l'on avait a priori de la sympathie pour lui. Et l’amateur de celui qui est tout de même, qu’on le veuille ou non, davantage qu’une créature manipulatrice, en est d’autant plus déçu, car le créateur qu’il était également est parfaitement négligé. Notamment, il n’est qu’à peine question de musique dans ces pages, alors que c’est tout de même ce que notre hyper-héros savait faire de mieux.

Marc Lucas
( Mis en ligne le 04/02/2009 )
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