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La Fille - Ma vie dans l'ombre de Roman Polanski
de Samantha Geimer
Plon 2013 /  19.90 €- 130.35  ffr. / 314 pages
ISBN : 978-2-259-22253-2
FORMAT : 14,1 cm × 22,5 cm

Une confession apaisée

Voilà un livre, écrit avec l'aide de l'avocat Lawrence Silver et Judith Newman, écrivain et journaliste au New York Times, qui devrait faire taire les rumeurs, les fausses accusations et les analyses délirantes ayant couru sur Samantha Geimer et Roman Polanski. Samantha Geimer, à 50 ans, donne le détail de ce qui s'est passé le 10 mars 1977 entre elle et le cinéaste Roman Polanski. Cette histoire a défrayé la chronique pendant de longues années et encore récemment avec l'arrestation du cinéaste alors qu'il se rendait à un festival en Suisse en 2009.

Un soir, chez Jack Nicholson (absent lors des faits) sur Mulholland Drive à Los Angeles, Samantha Geimer se retrouve pour une séance de photos avec Roman Polanski. Il lui fait boire du champagne, lui donne un Quaalude (un sédatif), puis abuse d'elle. Six chefs d'accusation sont retenus contre lui : «Fourniture de substance réglementée à une mineure, actes obscènes sur un enfant de moins de 14 ans, relations sexuelles illégales, viol par usage de drogue, perversion et sodomie». Les parents de la jeune fille veulent à tout prix éviter le procès pour protéger leur enfant. Son avocat négocie avec le juge. Roman Polanski accepte de plaider coupable, mais seulement pour l'accusation la moins grave, la "relation sexuelle illicite avec un mineur", en échange de l'abandon de toutes les autres charges. Polanski passe quarante-deux jours dans la prison californienne de Chino. La situation se présente au mieux pour lui, au vu des rapports psychiatriques : il est déclaré non pervers et non pédophile.

Les opinions fleurissent et divergent ; le fait est que seuls les intéressés détiennent la vérité des faits. Soit Roman Polanski a violé la jeune fille et il est alors coupable et mérite d'être jugé équitablement - mais le climat houleux suscité par les médias et la justice américaine n’a pas permis de régler cette affaire sereinement ; soit Samantha Geimer ment et, avec sa mère, a attiré le cinéaste dans un véritable traquenard. Samantha Geimer évoque cela dans sa confession mais elle maintient que Polanski l’a violée et qu’il n’y a eu aucune manipulation de sa part. On peut aussi se demander en lisant certains propos si Samantha Geimer, qui a obtenu réparations (500 000 dollars de la part de Polanski), ne tente pas d’apaiser les médias et la justice d’abord pour elle-même et sa famille, et aussi pour dédouaner le réalisateur suite à cet accord financier. Tronque-t-elle la réalité ou dit-elle vrai ? Ce qui est établi de façon sure, c'est que le cinéaste a couché avec elle.

Cette histoire a néanmoins pris des proportions délirantes. Le lecteur sera peut-être surpris de lire de la part de Samantha Geimer : «Cela semblera peut-être indécent, mais c'est pourtant la vérité : si je devais choisir entre revivre le viol ou le témoignage devant le grand jury, je choisirais le viol» (p.116). On comprend le calvaire que lui ont fait subir les médias et les déclarations délirantes faites sur son histoire. Samantha Geimer ne se sent nullement victime et en veut plus à ceux qui prétendent mieux connaître la réalité des événements qu'elle-même. Elle écrit : «Ma mésaventure avec Polanski ne m’a pas traumatisée, ni mentalement, ni physiquement» (p.299) ; «Si vous souhaitez sérieusement faire une bonne action, faites les choses dans l’ordre : assurez-vous d’abord de la coopération de ceux que vous voulez aider, ne vous servez pas d’eux» (p.295).

Elle n’accable pas le cinéaste même si elle l’a trouvée «égoïste» et «arrogant». Si l’on retient aussi qu'à l’époque des faits (1978), une certaine licence, une permissivité dans les mœurs avait cours à Los Angeles, cela se complique encore. Samantha Geimer écrit : «Même sous ses formes les plus basiques et les moins sensuelles, toute expérience sexuelle était plutôt bien vue à l’époque. L’idée était que les deux personnes concernées, la dominante et la dominée, évoluaient émotionnellement grâce à une sexualité débridée. En 1977, Roman Polanski était imprégné de ce paradigme culturel, ce qui est un point non négligeable. Il a bien entendu commis un acte répréhensible, néanmoins j’ai l’intime conviction qu’il ne m’a considérée comme une victime. Même si tout le monde ne le comprendra pas, je n’ai jamais cru qu’il ait cherché à me faire du mal ; il voulait me procurer du plaisir. Il était arrogant et excité mais je suis convaincue qu’il n’a pas tenté de tirer profit de ma souffrance» (pp.140-141). Samantha Geimer raconte qu’à la suite de cette histoire, elle a «erré» en prenant de la drogue et en couchant fréquemment, comme c'était plus coutumier à l’époque.

Les nuances sont donc de rigueur face à un cas aussi particulier. Concernant la fameuse scène de photographies, Samantha Geimer rappelle à notre mémoire les photos de jeunes filles par David Hamilton, publiées dans le monde entier, et avoue qu’elle n’aurait pas dû céder si facilement ; mais elle avait bu et pris un Quaalude (tout comme Polanski), sans doute également influencée par la notoriété du cinéaste. Elle avoue : «Il me demande si j’éprouve du plaisir, c’est le cas. Et ça, c’est déjà assez horrible en soi. Mon esprit se débat mais mon corps me trahit» (p.65). N'est-il alors pas plus juste de conclure que Roman Polanski a abusé d’elle mais sans violence et que Samantha Geimer, comme elle le dit elle-même, n’a pas été aussi traumatisée que les commentateurs l'ont dit dans un véritable battage médiatique non exempt de haine ?

''Égoïste'' et ''arrogant'', Roman Polanski était lui-même pris dans cette «libération sexuelle», trop confiant en lui et en son image, sans oublier non plus les marques de son passé : son enfance dans le ghetto de Varsovie, le meurtre de sa femme Sharon Tate enceinte, assassinée par la secte Manson avec plusieurs de leurs amis... Le cinéaste, dans une lettre qu'il lui a adressée, confirme et se dit «désolé d’avoir bouleversé son existence».

C'est l’instruction d’une telle affaire par la justice dans une démocratie en proie aux rumeurs et au battage médiatique qui est surtout troublante. Samantha Geimer évoque ce long calvaire durant lequel les médias et la justice américaine s'acharnent sur cette histoire, notamment le procureur Rittenband, particulièrement préoccupé de sa propre image dans les médias. Ce dernier ne trouve pas assez sévère la peine de prison de 42 jours prononcée contre le cinéaste et suggère qu’il peut envoyer Roman Polanski sous les barreaux (50 ans à l’époque), cassant ainsi l'accord obtenu entre les deux parties. Roman Polanski s'enfuit des États-Unis devant pareille menace. Samantha Geimer le comprend. Tout cela opère-t-il vraiment selon les rouages d'une démocratie saine ?... L’histoire rebondit en 2009 avec l’arrestation de Polanski suite à la décision du procureur de Los Angeles, Steve Cooley, qui briguait un troisième mandat et pensait que se montrer intraitable avec Polanski lui assurerait sa réélection. Comme on sait, la Suisse refusa d’extrader le cinéaste au prétexte que les États-Unis ne livraient pas tous les éléments de l’enquête (notamment le refus d'ouverture des scellés concernant les irrégularités des procédures lancées par le procureur Rittenband). Samantha Geimer en veut à la justice américaine, incapable d’appliquer ses propres lois.

L'auteure livre donc ici une confession apaisée. Elle aimerait que cette histoire cesse et pourvoir continuer de vivre tranquillement à Hawaï avec son mari et ses trois enfants. Elle conclut : «Si vous avez constamment de la haine dans le cœur, il n’y a que vous que vous faites souffrir. Ce n’est pas pour lui que j’ai pardonné. Je l’ai fait pour moi. Le pardon n’est pas un signe de faiblesse. C’est une force».

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 22/11/2013 )
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