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Essais & documentset Psychologie  

Le Désir d'analyse - Textes cliniques
de Wladimir Granoff
Flammarion - Champs 2007 /  9 €- 58.95  ffr. / 296 pages
ISBN : 978-2-08-120109-5
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en septembre 2004 (Aubier).

L'auteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est agrégée et docteur en histoire. Ses travaux portent sur l’histoire sociale et culturelle de la France dans la deuxième moitié du XXe siècle, et abordent dans ce cadre l’histoire des sciences du psychisme.


L’analyste, le désir et le temps

Wladimir Granoff (1924-2000) a marqué l’histoire du mouvement psychanalytique, bien qu’il ait toujours endossé volontiers le statut de la marginalité. Avec François Perrier et Serge Leclair, il a formé ce trio lacanien qui, dans les années 1950, bouscula l’académisme de la psychanalyse à la française. On sait combien comptent ses travaux sur la sexualité féminine notamment — Le Désir et le féminin, avec François Perrier (Flammarion, 2002) ; La Pensée et le féminin (Flammarion, 2003) — ou sur la transmission — Filiations. L’avenir du complexe d’Œdipe (Gallimard, 2001).

Il s’agit ici d’un recueil de textes inédits (conférences et communications) voire introuvables (comme ces lettres de Granoff à sa mère), le tout composé par son épouse, Martine Bacherich. Comme dans tout assemblage de ce type, la diversité prévaut, dans les thèmes abordés comme dans la nature même d’articles quelque peu disparates. Trouver un ordonnancement relève par là même de la gageure. Ainsi, la division de l’ouvrage en une partie «clinique» et une partie «pratique» semble contredire l’essence même de chacun de ces textes, où se nouent intimement le travail quotidien de l’analyste et sa réflexion théorique. Mais l’écriture, d’abord, vient unifier ces textes, empreinte de métaphores et d’un goût très sûr de la langue. Tous sont aussi traversés par une réflexion sur le temps (temps «fluidifié» ou au contraire temps «congelé») et sur l’héritage, y compris celui des analystes aujourd’hui, leur «patrimoine spirituel». Temps et héritage sont replacés dans l’histoire du mouvement analytique, depuis «Freud le conquistador» qui «n’a pas dit son dernier mot» et qui a préservé dès lors une relative incertitude sur le «comment travaillons-nous ?» des psychanalystes.

De fait, la volonté d’inscrire la psychanalyse dans son historicité, de l’ancrer solidement dans une histoire, son histoire, est manifeste tout au long des textes ici rassemblés. Faisons l’historique de nos croyances, enjoint Granoff à ses confrères, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Freud par exemple. Lui-même se met à l’ouvrage en faisant retour sur un article cosigné avec Lacan et paru en 1956, à propos du fétichisme (qui fut aussi le sujet de sa thèse). Évaluer précisément la genèse d’un texte et les circonstances de son écriture, c’est déjà faire œuvre de réflexion historique. Granoff en appelle d’ailleurs aux historiens et leur demande de comprendre, à propos de Lacan, le processus qui trouva son aboutissement dans «l’excommunication». Lui-même disciple de Lacan, ayant rompu sans jamais le renier, Wladimir Granoff ne craint pas d’aborder des questions comme celles de la place de l’argent chez Lacan et son «avidité».

Mais ce qui l’intéresse au premier chef, c’est bien sûr l’influence de la pratique lacanienne. Aussi, l’une des questions majeures que pose le livre devient-elle : comment apprendre à psychanalyser ? Initiation et transmission se font ainsi enjeux essentiels, que l’on trouve avec éclat dans cet échange proprement maïeutique entre Granoff et sa femme à propos de l’interprétation des dessins d’enfants. Les figures de Melanie Klein — découvrant dans l’enfant ce qui est déjà refoulé : le nourrisson —, de Sophie Morgenstern et de Françoise Dolto sont alors sollicitées au cours de ce dialogue fécond sur l’apparence et l’apparition, la représentation graphique et la fonction psychique, l’enfance d’un être et les «aurores de l’humanité».

Le plus beau de ces textes est sans doute «Vous qui passez sans me voir…», récit d’une cure inaboutie et d’une patiente enfuie. La narration de cette cure est entremêlée de réflexions sur le regard, sur le nom d’une personne («l’inévacuable du sens le plus secret de sa vie et sa peau même»), sur l’imaginaire du corps et sur tout ce qui, naturellement, au cours de la thérapie, évolue du fait même d’être verbalisé. C’est là le lent et sinueux cheminement d’une cure, assorti d’une référence prégnante à la pensée de cet autre maître, Sandor Ferenczi, dans sa démarche compréhensive et son souci de guérir. Dans ce que l’anglais appelle care, il y a «cure» mais aussi «souci», attention soucieuse pour le patient. Dès lors, ce que Lacan appelait le «désir de l’analyste» se fait surtout et avant tout désir d’analyse.

Ludivine Bantigny
( Mis en ligne le 04/10/2007 )
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