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L'Univers a-t-il une forme ?
de Roland Lehoucq
Flammarion - Champs 2004 /  7.20 €- 47.16  ffr. / 163 pages
ISBN : 2-08-080098-1
FORMAT : 11x18 cm

Edition revue et corrigée

L’auteur du compte rendu : Après un DEA d’astrophysique et un DESS de communication et information scientifique à l’université Paris 7 - Denis Diderot, Ludovic Ligot est maintenant journaliste scientifique pigiste.


Le grand trompe-l’œil cosmique

La cosmologie, étude de l’Univers considéré dans son ensemble, comporte une difficulté essentielle et insurmontable : alors qu’habituellement, les chercheurs analysent les objets de l’extérieur, il ne peut en être question pour l’Univers, dont ils font partie par définition. Ce problème place toute cosmologie sous le signe du doute : peut-on arriver à comprendre un objet de l’intérieur, sans aucun recul pour ainsi dire, ou ne découvre-t-on que des propriétés illusoires, résultant de ce point de vue limité ? En particulier, comment savoir si l’Univers est fini ou infini et, dans le premier cas, déterminer sa forme ? Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay, nous plonge dans l’histoire et les derniers rebondissements de cette science étonnante, nous révélant de quelle manière elle entame peut-être une véritable révolution, grâce au retour en force de la «topologie cosmique».

En 1916, Albert Einstein montra dans sa théorie de la relativité générale que la matière et l’énergie déforment l’espace-temps, à la manière d’une masse posée sur un drap tendu. Dans ce nouveau décor, la lumière se déplace suivant des «géodésiques», les lignes droites d’un espace courbé, non euclidien. A partir de cette théorie, les cosmologistes ont essentiellement tenté de déterminer la géométrie globale de l’Univers (euclidienne, sphérique ou hyperbolique) en pensant que sa forme en découlerait logiquement : sphérique, l’Univers serait fini : euclidien ou hyperbolique, il serait infini.

Mais les cosmologistes ont eu tendance à oublier que la forme de l’Univers ne dépend pas que de sa géométrie, qui indique comment calculer la distance entre deux points voisins. Il faut également connaître les relations spatiales entre les points au niveau global, ce qui est l’affaire de la topologie. Deux espaces de même géométrie peuvent différer au niveau topologique : pour un être à deux dimensions, un morceau de plan rectangulaire et un tore (comme une chambre à air de vélo) fabriqué à partir de ce rectangle ont la même géométrie, mais pas la même topologie. A la surface d’un tore, dans de nombreux cas, on ne peut pas contracter une courbe fermée en un seul point, à la différence du plan. La surface du tore est dite «multiconnexe» et la surface du plan, «simplement connexe»… Cette notion se généralise à notre espace à trois dimensions, au prix d’un bel effort d’imagination. Rien n’interdit donc de penser que l’Univers puisse avoir une forme indépendante de sa géométrie : torique, en bretzel, ou encore plus étrange !

Après un long et bienvenu rappel de l’histoire de la cosmologie et ces explications mathématiques, l’auteur analyse les effets de la topologie cosmique sur les observations. L’affaire devient alors fascinante, car dans l’hypothèse d’un Univers torique, nous pourrions être victimes d’un vaste trompe-l’œil cosmique. En effet, la lumière d’un même objet (galaxie, amas) nous parviendrait de plusieurs directions, selon son trajet sur différentes géodésiques. De plus, cette lumière ayant parcouru des distances variées, cet objet apparaîtrait à divers stades de son évolution et sous des angles changeants. Autrement dit, nos télescopes observeraient, en plus des objets réels, de nombreuses images «fantômes» de ces objets, sous des formes difficilement reconnaissables ! Un vrai casse-tête aux multiples facteurs, avec pour idée centrale que l’Univers nous apparaît peut-être plus grand qu’il n’est en réalité. De quoi réviser de fond en comble les conceptions classiques, et pourquoi pas aboutir à une théorie plus complète que la relativité générale.

Les lecteurs peu habitués aux concepts mathématiques et cosmologiques sentiront peut-être le vertige les envahir devant ces recherches actuelles et la capacité d’abstraction qu’elles demandent. Mais l’écriture précise de Roland Lehoucq, la clarté de ses explications et des figures jointes, font qu’à condition de prendre leur temps, ils pourront suivre avec autant d’intérêt que les autres l’évolution de cette science déroutante mais passionnante, qui devrait donner des résultats précis d’ici quelques années, grâce à des observations fines des objets les plus lointains de l’Univers et au lancement, en 2007, du satellite européen Planck Surveyor, dévolu à l’examen attentif du rayonnement diffus cosmologique».

C’est d’ailleurs l’étude par un autre satellite de ce rayonnement ancien, fournissant une image «fossile» de l’Univers, alors âgé d’environ 300 000 ans, qui a permis à une équipe dont fait partie l’auteur de proposer un modèle topologique de l’Univers, l’espace de Poincaré, beaucoup plus complexe qu’un tore. L’astrophysicien nous fait ainsi partager cette recherche de pointe, nous donnant envie de connaître la suite de l’aventure. En attendant les résultats, on risque de ne plus regarder la voûte céleste de la même manière !…

Ludovic Ligot
( Mis en ligne le 02/06/2004 )
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