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Rayon gay & lesbienet Littérature  

Le Sel de tes yeux
de Fanny Chiarello
L'Olivier 2020 /  17 €- 111.35  ffr. / 175 pages
ISBN : 978-2-8236-1594-4
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Lettre à une inconnue

L’environnement du cinquième roman de Fanny Chiarello est le pays des corons, un nord peu accueillant, hostile au bonheur. Fanny photographie par hasard une jeune athlète en train de courir dans un vieux stade. Elle lui plaît et elle imagine sa vie en la nommant Sarah et en lui inventant une famille, une meilleure amie et une amoureuse secrète.

Fanny connaît bien ces paysages car elle en est originaire : les terrils les plus hauts d’Europe, les chevalements, tours Eiffel minières devenues inutiles, les pâtés de maisons en brique rouge, identiques. Elle pratique la photo en amateur, et, apercevant Sarah, elle prend trois clichés. A partir de là, elle lui invente une vie, fait le portrait d’une adolescente homosexuelle en butte à sa famille maghrébine, aux autres ados, solitaire au milieu des autres. Sa mère la surveille étroitement, pressentant une déviance ; en permanence rabaissée, Sarah culpabilise. Elle n’a ni l’âge ni la force d’assumer une différence qui ne s’est pas encore matérialisée.

Le roman est divisé en huit parties qui vont d’un samedi au samedi suivant. Ce récit fait penser à Edouard Louis et son chemin de croix. Fanny nous raconte la vie quotidienne de Sarah sur une semaine, son agoraphobie au supermarché, car elle doit aider sa mère, ce qui lui a fait manquer la bibliothèque, elle qui, comme tous les solitaires, lit beaucoup. Cette jeune fille prend de l’importance dans la vie et l’imaginaire de Fanny Chiarello qui lui écrit mais n’obtient pas de réponse à cause de la censure maternelle. «Je ne t’ai pas encore dit qu’écrire est mon métier. Je pratique la photo en amateur. J’ai parlé de toi et confié à certains de mes proches mon désir de te consacrer un texte conséquent. Non pas un simple paragraphe mais tout un roman (…) Je voudrais te faire écrire».

Sarah sait être accommodante avec ses parents pour ne pas éveiller leur méfiance mais elle ne leur a pas obéi et fréquente Jasmine qui est sa seule vraie amie, sœur de coeur, mère isolée, la seule à comprendre ses tourments. Elle la voit en cachette dans son vieil immeuble.

A travers son héroïne, Fanny nous fait passer un message. Tout dans notre société tient de la propagande hétérosexuelle, la question du genre est explicite. Un parent hétéro souligne qu’une camarade de son rejeton a deux mamans et non deux mères, ce qui sonne plus crûment. La mièvrerie est bien utile parfois. L’auteure donne l’impression d’écrire sur sa propre adolescence, ses problèmes, à travers la vie de Sarah qui lui sert de miroir. «Parfois un appel du réel me donne le vertige quand je lève la tête un peu trop vite et m’aperçois que tu n’es pas près de moi. Mais le réel insiste. Chaque fois que je reprends mon souffle et parviens à regagner mon imaginaire où tu m’attends avec ton sourire silencieux». Fanny Chiarello nous transmet de façon subtile la difficulté d’être une adolescente homosexuelle dans une région pauvre et triste. Peut-être un jour se connaîtront-elles et Fanny guidera Sarah sur le chemin de la sérénité...

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 06/01/2020 )
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