L'actualité du livre
Documentaireset Culturel  


La sociologie est un sport de combat
de Pierre Carles
Montparnasse 2002 / 
Durée film 140 mn.
Classification : Tous publics
VHS
Secam
Son mono


Une photo, montrée par une journaliste allemande venue interroger Pierre Bourdieu, le présente s'emparant d'un mégaphone, lors d'une manifestation de chômeurs, sans doute en 1995. Et l'on pense à Sartre haranguant les ouvriers de Billancourt. Un cliché, donc, auquel ce film prétend tordre le coup. " L'idée que j'avais en tête quand j'ai commencé, annonce Pierre Carles, c'était de faire comprendre pourquoi il est utile de se méfier des apparences, des évidences, du sens commun, de tout ce qui est donné comme naturel par les médias." Avertissement liminaire qui concerne tant le sujet Bourdieu que la pensée de Bourdieu. Ce film a été réalisé après 1995, année de mouvements sociaux qui a vu la naissance du penseur au grand public français. C'est donc un homme public que Pierre Carles, l'impertinent réalisateur de Pas vu, pas pris, a suivi pendant trois ans, le filmant attelé à son travail quotidien, sous toutes ses facettes, depuis son bureau du Collège de France jusqu'aux meetings anti-mondialisation; des studios d'enregistrement d'une radio locale à un comité de rédaction. On contemple sa pensée "en mouvement", comme lui, sans cesse en tournée, donnant des entretiens, visitant des campus. Pierre Bourdieu est, en apparence, une rock-star des sciences sociales. L'ère médiatique a ainsi le contradicteur, non pas qu'elle mérite, mais qu'elle suscite. Car la moindre des qualités de Pierre Bourdieu est sa connaissance et son utilisation des potentiels de "l'ennemi" (le média, comme outil de diffusion de la pensée dominante) pour diffuser ses thèses. Les mots sont répétés, rabâchés inlassablement jusqu'à façonner des slogans. Ils s'aiguisent au fur et à mesure des entrevues, des plateaux, des tribunes; et l'on voit que Bourdieu est un formidable instituteur, s'il est vrai que la pédagogie, est l'art de la répétition. Qu'apprend-on de sa pensée, finalement ? "Le dominant est dominé par sa domination", lance-t-il, paraphrasant Marx. "La sociologie est un sport de combat contre l'ordre dominant", explique-t-il aux auditeurs de Radio Droits de Cité, à Mantes-la-Jolie. Quelques éléments parmi les plus simples de la pensée de Pierre Bourdieu finiront bien par pénétrer l'esprit des auditeurs les plus récalcitrants ou dissipés.

Si ces 140 minutes de documentaire ne remplacent pas la lecture de ses ouvrages, ils nous familiarisent en tout cas avec le ton, le regard - dans les deux sens du terme - d'un très grand penseur. Enfin, il est de bon ton de brocarder l'utilisation des médias par celui qui n'eut de cesse dénoncer leurs effets pervers. Son petit livre rouge Sur la télévision, publié en 1996, avait suscité un débat très vif dans une sphère médiatique, "très encline à porter sur elle-même un regard faussement autocritique". Ce film est l'occasion unique de voir un Bourdieu à l'œuvre dans son rapport avec la presse, télévision, radio, bref, sa manière d'occuper l'espace public, y diffusant inlassablement son credo anti-libéral. Hagiographe, donc, Pierre Carles l'est, non sans montrer un Pierre Bourdieu parfois agaçant, démagogique, prévisible. Mais également alerte, incisif, et non dénué d'humour. Lisant un synopsis que lui a fait parvenir le réalisateur Jean-Luc Godard, il se tourne vers la caméra et avoue, amusé, n'y rien comprendre. Lors d'un dialogue télévisé avec Günter Grass, Pierre Bourdieu expliquait que "notre époque n'étant pas drôle", lui-même ne l'était pas non plus. Ce film a aussi le mérite de nous prouver qu’il avait tort.



Vianney Delourme
( Mis en ligne le 25/01/2002 )
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