L'actualité du livre
Filmset Drame  


Prisonnière d’un espace et d’un temps
de Raymond Depardon
avec Sandrine Bonnaire
Arte Vidéo 2006 /  4.62 € - 30.24 ffr.
Durée film 98 mn.
Classification : Tous publics
Sortie Cinéma, Pays : 1989, France

Version : DVD 9/Toutes zones
Format vidéo : 16/9 compatible 4/3
Format image : 1.66 (couleurs)
Format audio : Français (Dolby Digital Stereo 2.0)

Bonus :
Documentaire Les Révolutionnaires du Tchad (1976, 45 mn)
Entretien avec Sandrine Bonnaire et Raymond Depardon (30 mn)
Commentaires de Raymond Depardon


Le DVD intitulé La Captive du désert assemble diverses œuvres de Raymond Depardon, tournées au Tchad, auprès des nomades Toubous, rebelles du Front de libération Nationale. Si le beau film tourné à la fin des années 80, inspiré de la captivité de l’otage française Françoise Claustre, semble au centre de l’objet, le véritable trésor est constitué par trois documentaires tournés de 1970 à 1975, et assemblés sous le titre : Les Révolutionnaires du Tchad.

Le film de Raymond Depardon s’ouvre sur une caravane de nomades, file d’hommes, femmes, enfants et chameaux sur le sable et sous le soleil. Parmi eux, une jeune femme blanche. On comprend assez vite qu’elle est prisonnière. Ils posent leur camp au pied de pitons rocheux dressés dans le désert. Surveillée par un gardien armé, elle est surtout «captive du désert», de l’immensité de sable sans eau ni âme qui vive, à des journées de marche du moindre village. D’elle, on ne sait rien. Quelques polaroïds que, nostalgiquement, elle regarde, nous apprennent qu’elle a eu une vie à Paris, un ami, puis qu’elle semble avoir travaillé dans une école en Afrique. Entre elle et les nomades, quelques rapports se tissent : amicaux avec ces jeunes filles à qui elle apprend «Il était un petit navire», complices avec ces femmes qui ont demandé à leurs maris de ne pas la tuer, tendus aussi parfois, quand elle refuse, obstinément, de donner des médicaments pour le ventre ou de l’aspirine. On comprend qu’elle est otage, gardée par les nomades.

Mais on ne sait pourquoi. On ne connaît pas son nom, ni l’endroit où elle est, ni le nom de ceux qui la gardent. Aucune voix off pour nous renseigner, aucun dialogue qui distille cette information. Raymond Depardon a fait le choix de ne rien dire. Comme elle, nous sommes captifs de la lumière et du silence. La caméra filme sans affect les angoisses et la ténacité de la jeune fille, magnifiquement interprétée par Sandrine Bonnaire. Elle filme aussi les nomades, leur vie pastorale, loin de tout médecin, de toute école, de toute civilisation. Elle filme le désert. En photographe, Depardon compose des plans fixes, joue des couleurs, des ombres, des obliques, des cadres imprévus. Des images restent, prégnantes, images de désert, de ces femmes dont les vêtements si colorés tranchent avec la monochromie du paysage. Le film, lentement, nous immerge dans le temps lent et long de l’attente de l’otage et de la vie de ses gardiens, assez loin des figures imposées des prises d’otages : ici c’est l’espace et le temps qui emprisonnent.

Les compléments de programme viennent ensuite éclairer le long métrage. Si l’interview de Sandrine Bonnaire n’apporte que quelques renseignements sur les conditions de tournage, celle de Raymond Depardon nous en apprend bien plus. La Captive du désert est librement inspirée de la captivité de Françoise Claustre, ethnologue française prise en otage au Tchad par les rebelles du Frolinat (Front de Libération Nationale) d’Hissène Habré en 1974, et libérée trois ans plus tard. Raymond Depardon, parce qu’il connaissait bien les nomades Toubous qui gardaient la jeune femme, avait pu rencontrer l’otage. Pourtant, ce n’est pas toute l’histoire de la prise d’otage de Françoise Claustre qu’il veut rendre, juste ce temps de captivité dans le désert. Il y traduit également sa propre expérience de captivité, puisqu’il a fait lui-même quelques mois de prison au Tchad. Il témoigne tout à la fois de sa compassion pour la jeune femme, mais aussi de son intérêt et de son empathie pour les nomades Toubous. On pourra s’étonner que la force de ces références, de ces expériences, donnent un film si décontextualisé, mais il permet de rendre tout à la fois l’essence de la captivité, et autorise sans doute ce regard sans parti pris qui caractérise La Captive du désert.

Le DVD nous offre ensuite (quoiqu’il soit plus logique, finalement, de les visionner avant de voir le film de 1989) trois documentaires tournés auprès des rebelles du Front de Libération Nationale. Le premier date de 1970. Autorisé à filmer des rebelles dans la palmeraie d’Aozou, Raymond Depardon et son aide se retrouvent pris dans une embuscade de l’armée régulière tchadienne. Autorisés, grâce à leur statut de journaliste français, à se mettre à l’abri, ils filment la fin de l’attaque. En 1975, Raymond Depardon accompagne Pierre Claustre à la recherche de sa femme. Le reporter filme les rebelles et leurs chefs, dont Hissène Habré, avant d’être autorisé à interviewer Françoise Claustre. L’interview est bouleversante : l’ethnologue enlevée, qui ne décolère pas contre l’inaction de la France, y apparaît dans toute sa dignité, sa force mais aussi sa détresse. Si le reporter rentre en France, le mari de l’otage est à son tour retenu par les rebelles.

Un an après, Depardon repart pour six mois auprès du Frolinat, désormais renforcé et équipé (notamment grâce aux envois d’armes de la France, acompte incomplet sur la rançon de Françoise Claustre). Le documentaire est le plus informatif des trois sur la révolution et ses combattants. Le reporter accompagne l’armée de libération dans la prise d’une sous-préfecture, avant que d’être à nouveau autorisé à interviewer l’otage française. À nouveau, on est submergé d’émotion par la parole posée, mais tendue, de cette femme à qui l’on avait annoncé la date d’exécution avant de la différer. Le reporter témoigne dans ses trois documentaires de son respect pour les révolutionnaires du Frolinat, respect que l’on retrouve aussi dans la bouche de l’otage. Il fait de ces documentaires des œuvres engagées en plus d’être informatives, et par ailleurs valorisées par le travail sur l’image du photographe.

On ne sort pas indemne des Révolutionnaire du Tchad, et de la présence de Françoise Claustre. Et l’on se dit que les silences de La Captive du désert, version épurée et sans affect de la réalité, sont peut-être le seul moyen pour le reporter, mais aussi pour le spectateur, de s’en remettre.

Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 27/03/2006 )
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