L'actualité du livre
Filmset Films historiques  


Les Martyrs de la révolution
de Efim Dzigan
avec Vasilij Zaj, Oleg Jakov, Raisa Yesipova, Grigorij Busuev
Bach Films 2006 /  1.07 € - 7 ffr.
Durée film 86 mn.
Classification : Tous publics
Sortie Cinéma, Pays : Russie, 1936
Titre original : My iz Kronstadta

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3 (noir & Blanc)
Format audio : Russe mono
Sous-titres : Français

Bonus :
- Bande annonce


My iz Kronstadta/Nous ceux de Kronstadt date de 1936. Œuvre du cinéma russe parlant d’époque stalinienne, il a pour sujet un épisode de la Révolution et de la Guerre civile : le rôle décisif des marins de Kronstadt en octobre 1919 pour la défense de Petrograd (ex-Saint-Pétersbourg, dont le nom trop germanique avait été abandonné en 1914 au profit d’une traduction purement russe).

L'ancienne capitale des tsars est devenue le siège du gouvernement révolutionnaire des commissaires du peuple, à majorité bolchévique, que dirige Lénine. Mais les Blancs menacent la ville par une offensive terrestre. Kronstadt, grand port militaire de la flotte de la Baltique, est passé à la Révolution en février 17 et a soutenu les Bolchéviks en Octobre 17. On se reportera, sur le plan cinématographique, à Octobre d’Eisenstein, un des grands films politico-historiques du muet soviétique, qui montre l’intervention du Cuirassé Aurore, qu’on pouvait visiter à Léningrad (à l’époque soviétique) comme un musée et un sanctuaire d’Octobre. Avec le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, on a là une série de films soviétiques à la gloire des marins russes de 1905-1919. Le pouvoir leur assigne une place de choix dans la mémoire révolutionnaire : soldats d’élite, vivant dans le monde technique de la flotte de guerre moderne, ces hommes du peuple sont ouvriers d’origine et solidaires du prolétariat, ils constituent une avant-garde de la conscience de classe et possèdent les armes nécessaires à la victoire de la révolution ! De plus, leur position dans le golfe de Finlande, à quelques encablures de la capitale, les rend très utiles à la prise du pouvoir dans une capitale exposée à l’action de flottes de guerre. Cette aristocratie militaire du peuple, travaillée par la propagande léniniste, sera le fer de lance de la révolution des soldats, des ouvriers et des paysans : rejet d’une guerre impérialiste, révolution socialiste et défense du pouvoir révolutionnaire contre la réaction blanche.

C’est ce que Les Marins de Kronstadt veut immortaliser. Il prend pour thème un événement dramatique d’octobre 1919, propre à bouleverser le spectateur : le sacrifice de marins combattants, capturés par les Blancs, jetés du haut d’une falaise et noyés une pierre au cou. Menés par l’inflexible et incorruptible commissaire Martynov, meneur d’hommes résolu et dévoué à la cause, des marins se portent volontaires pour repousser une offensive blanche sur un point stratégique et faire gagner un temps précieux aux gens de Petrograd. Inférieurs en nombre, ils tiennent jusqu’à la dernière cartouche, grâce à leur courage et à leur énergie, repoussant même les tanks fournis par les puissances étrangères qui aident les Blancs, mais sont submergés par le nombre et le matériel des assaillants. Bien que certains soient « sans-parti », aucun n’en fait mention ni ne renie le pouvoir soviétique face aux Blancs qui ne veulent exécuter que les communistes. Pour économiser les balles, les Blancs les mènent à la falaise et y précipite même un volontaire adolescent. Seule, la forte tête sans-parti Artem Balachov échappe à la mort grâce à un couteau : il coupe sa corde et nage jusqu’à la côte où flottent bientôt, ramenés par la marée, les bérets de ses infortunés compagnons, martyrs de la révolution. Il ramène du fond des eaux le corps sans vie du commissaire Martynov et le cache sous les pierres de la plage : avant-goût du mausolée de Lénine ? Mauvais esprit individualiste et contestataire, qui n’avait pas voulu entrer au parti « pour raisons personnelles », Balachov est transformé : il prend conscience de son devoir et met de côté sa tendance anarchisante et son indiscipline. Il va prévenir Petrograd du danger, mène des marins volontaires au combat en citant Lénine et devient un nouveau Martynov : car, suivant la parole prophétique du commissaire (le discours de Lénine, la moustache de Staline), quand un bolchévik tombe, dix prenne sa place !

Le message politique n’est pas difficile à saisir. L’histoire et le sentiment sont au service de la légitimation du pouvoir soviétique. La discipline et l’obéissance inconditionnelle à la ligne du parti, fixée par un chef dévoué à la cause du peuple (Lénine, puis Staline), sont exaltées comme les seuls moyens de la victoire. L’individualisme est toléré avec une certaine patience ici : Martynov donne sa chance à Balachov, alors qu’il suscite la méfiance de ses camarades qui connaissent son mauvais caractère. On est d’ailleurs en plein mythe léniniste, aggravé au stade stalinien du début des années 30 : l’histoire du Parti est idéalisée, son rapport avec la démocratie directe des soviets, simplifié ! En 1936, il ne reste plus rien, depuis longtemps, du caractère « soviétique » du régime, bien que Staline fasse voter alors « la constitution la plus démocratique du monde » ! Car le PC a liquidé la démocratie directe locale au profit du centralisme démocratique et du parti unique avant-garde et élite de la conscience de classe (forme léniniste de la démocratie réelle).

Le film présente l’image d’un PC fidèle à la Vox populi révolutionnaire et qui se contenterait d’apporter une discipline vite acceptée par les marins : mais le choix des événements de 1919 permet d’occulter que les mêmes marins de Kronstadt se révolteront en 1921 contre le pouvoir bolchévique au nom de la Révolution et du pouvoir aux Soviets ! D’une certaine manière, Balachov incarne l’ambiguïté des marins : prêts à suivre le PC, ils ne sont pas bolchéviks mais socialiste-révolutionnaires ou anarchistes. Le film traite indirectement de leur révolte : il suggère que les problèmes de rationnement et un certain égoïsme ont tourné la tête des marins révoltés (en 1919, le Bolchevik Martynov réussit à les raisonner en leur faisant honte de leur manque de résistance) ; plus tard, lors du combat, les marins paniquent devant l’ennemi, jusqu’à ce que Martynov, toujours en première ligne, les ramène à leur devoir. Le film distingue aussi le noyau communiste, toujours appelé en premier à la rescousse et présenté en élite exemplaire malgré des moments de faiblesse, et les sans-parti, imprévisibles et capricieux, qui n’ont pas encore compris ou mérite l’adhésion au PC ! Mais Balachov se ressaisit : il cessera même d’importuner les femmes de ses avances, d’autant que la « mademoiselle ! » un peu sévère qu’il courtise assidûment, n’est autre qu’un membre combattant du PC marié à un chef militaire de Petrograd ! (Féminisation du PC, mais limitée et dans la morale !)

Ainsi la dérive dictatoriale du PC se trouve-t-elle paradoxalement justifiée par une harmonie naturelle foncière entre parti et prolétariat mais aussi par la supériorité intellectuelle du PC : les Soviets sont le parti, il a dû les bousculer pour faire triompher la révolution et peut continuer à les incarner mieux qu’eux-mêmes. Autre paradoxe apparent, mais logique dans le dispositif stalinien : au moment où le parti des Vieux-bolchéviks d’avant 1914 est idéalisé (Martynov est Bolchévik depuis… 1901 – l’origine pure ! - et Balachov tremble en recueillant sa carte sur son cadavre, un fétiche !), Staline et son équipe purge le PC de la plupart des compagnons de Lénine par des épurations successives, bientôt par des procès avec exécutions ! Evidemment : pas un mot sur Trotski, principal responsable de l’armée rouge, alors que l’image de Martynov suggère physiquement que Staline incarne parfaitement l’héritage de Lénine. La leçon semble être que si l’URSS doit être dirigée par des militants de 1901 (et Staline peut s’en prévaloir), beaucoup de purs sont tombés et que certains vieux communistes ont parfois eu des moments de faiblesses : accusations rétrospectives d’infidélité à Lénine qui seront adressées aux « traîtres » Zinoviev et Kamenev, bientôt fusillés.

Un film bien fait dans son genre, et fort intéressant, qui rappelle au demeurant l’intervention occidentale dans la Guerre civile et la liquidation des commissaires soviétiques prisonniers (politique reprise par Hitler en 41-43) : thème au contraire chéri du cinéma soviétique, voir Les 26 de Bakou.

Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 16/03/2007 )
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